jeudi 23 janvier 2014

L'assassin habite au 21 - S.A. Steeman



Edité par la Librairie des Champs-Elysées, 1939 - 186 pages

Prologue

Le passant tomba sans un cri, absorbé par le brouillard avant d'avoir touché terre. Sa serviette de marocain fit floc en giflant le trottoir.
Mr Smith soupira. Il pensait : "Comme c'est facile ! Plus facile encore que la première fois !"
De fait, il n'avait pas éprouvé cette moiteur au creux des mains et ces tiraillements d'estomac qui, l'avant-veille, avaient ralenti son geste de mort.
Les réverbères, allumés depuis le matin, jalonnaient les rues de cocons lumineux, et les rares véhicules roulaient à pas d'homme. Des agents réglant la circulation on ne distinguait que les gants et le casque blanc, surmontant la tâche blême du visage. "Fameux temps pour les assassins !" ainsi que l'avait dit Mr Smith à Mrs Hobson en sortant de chez lui. (page5)
...
Sept victimes en deux mois et demi - sept crânes fracassés. Et l'assassin a signé tous ses meurtres en abandonnant un bristol sur les lieux : il s'appelle Smith...
Smith... La police londonienne est sur les dents, et les milliers de Smith de la capitale connaissent des moments difficiles. (Quatrième de couverture)

Jusqu'au jour où Toby Marsh, ex-pensionnaire des geôles de Sa Majesté, croise le chemin de la police et révèle comment il a découvert  l'adresse de l'assassin :

Ce soir-là, je traversai Soho Square quand deux hommes me passèrent littéralement sur les pieds. Il marchaient l'un derrière l'autre, mais le premier paraissait ignorer qu'il était suivi. On l'eût ignoré à moins ! Le second ne faisait pas plus de bruit qu'un spectre. 
-Un instant ! intervint Strickland. Avez-vous vu sa figure ?
Toby Marsh secoua la tête :
- Non, mon prince ! Il portait un long water-proof dont le col relevé lui dissimulait les bas du visage et le brouillard se chargeait de cacher le reste.
- Fort bien. Qu'est-il arrivé ensuite ?
- Je suis d'abord demeuré un moment sur place, comme un idiot. "Après tout, me disais-je, il n'y a rien d'extraordinaire à ce que deux types suivent le même chemin et à ce que l'un d'eux porte des semelles de crêpe!" [...] A peine avais-je fait cinq ou six pas que j'entendis comme un bruit de chute, ce fameux bruit sourd, vous savez bien, si longuement décrit par le constable Alfred Burt. Du coup, je me sentis pousser des ailes !  [...] J'eus la chance de rattraper mon type au moment où il allait disparaître dans le brouillard. Par parenthèse, eussé-je conservé des doutes sur son identité que le cadavre étendu sur le sol me les eût ôtés...
Toby Marsh fit une courte pause pour jouir de son effet. Le sergent Guilfoil jurait entre ses dents et l'inspecteur Mordaunt écrivait avec une hâte fébrile.
- Mr Smith - puisqu'il faut le désigner par son nom - commença par suivre Charing Cross Road et Caroline Street. Il se retournait souvent, mais je le suivais d'assez loin pour que ma silhouette, à peine visible dans la brume, n'éveilla pas sa méfiance. [...] Enfin, comme nous arrivions à hauteur de l'Alexandra Hospital, je le perdis subitement de vue. "Bon, pensai-je en prenant mes jambes à mon cou, il n'a pu tourner que dans Russel Square ! "
- Et alors ? se hâta de placer Strickland.
- Alors, ça vaut-il deux mille livres, gov'nor ? triompha le narrateur. L'assassin habite au 21! (pages 21-22-23)

Après s'être fait ridiculiser pendant deux mois et demi par Mr Smith, le Yard touche peut-être enfin au but. Mr Smith est à portée de main. Londres, en proie à la panique, va pouvoir retrouver sa sérénité, l'enquête touche à sa fin... à moins que ce ne soit que le début. Car Toby Marsh a omis de signaler un petit détail ...

Strickland se sentit envahi par une étrange appréhension : 
- Vraiment ? grommela-t-il. Lequel ?
Toby Marsh se mit à rire :
- Je vous le donne en cent !... Le 21, Russell Square, est une pension de famille !

Mon avis :

S.A. Steeman était Belge, mais il règne indéniablement dans ces pages une atmosphère British. Complice du sinistre Mr Smith, le "fog" londonien,  enveloppant, confère au récit une atmosphère ouatée et inquiétante :  il absorbe les sons, avale les silhouettes qui disparaissent dans la brume ou surgissent à vos côtés sans que vous les ayez entendues arriver. 
La pension Victoria, dirigée de main de maître par Valérie Hobson, abrite des locataires de tempéraments divers et contrastés parmi lesquels un prestidigitateur excentrique, une publiciste énergique, un vendeur de radios plutôt veule, un couple dont le mari se laisse mener par le bout du nez par sa femme, une auteure de contes pour enfants plutôt effacée,  un Russe mystérieux et charismatique, un médecin révoqué - l'inquiétant Dr Hyde ;-) - et un major retraité et psychorigide, ancien officier des Indes, qui semble tout droit sorti d'un  roman d'Agatha Christie (Le major parlait trop, Cinq heures vingt-cinq, ou encore N ou M, une de mes enquêtes préférées qui se déroule aussi dans une pension de famille).
S.A. Steeman fait preuve dans son écriture de traits d'humour qu'un anglais ne renierait pas. Il s'amuse ici à balader le lecteur entre vrais et faux indices (au lecteur de faire le tri), tout comme Mr Smith balade la police londonienne. Par deux fois, il interpelle directement le lecteur... Smith, lui, téléphone directement à la police au Yard pour lui indiquer obligeamment où trouver le prochain cadavre.
Bref, l'auteur a l'esprit ludique et, même s'il émane du roman une atmosphère un peu désuète, il tient l'attention du lecteur en éveil jusqu'au dénouement.
A déguster au coin du feu, par temps brumeux ou pluvieux, avec une bonne tasse de thé fumant (ou un verre de Whisky ;-) à la main.


S.A. Steeman

Lecture commune avec  Purple Velvet

Lu dans le cadre des challenges British Mysteries chez Lou et Hilde, I love London chez Maggie et Titine  et Petit Bac 2013 chez Enna (catégorie chiffre/nombre avec 21 dans le titre)







10 commentaires:

  1. Lu il y a très longtemps,et gardé un bon souvenir. A voir aussi, le film du même nom, très vieux lui aussi, avec Pierre Fresnay, transposé en France mais avec une atmosphère délicieusement desuète et inquétante.
    Très jolie nouvelle bannière!
    Bisosu et à bientôt!

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  2. Je ne connais pas du tout du tout, mais ça fait envie en tous cas...

    J'aime bien ta nouvelle bannière :)

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  3. ça a l'air effectivement très British question ambiance... je pensais que ce serait un peu moins le cas comme l'auteur n'était pas britannique, ça me donne d'autant plus envie de le découvrir !

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  4. Il faut absolument que tu voies le filmmmm

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  5. Bonjour,
    Maintenant j'ai envie de rejoindre Poirot !
    Je connais ce titre mais je ne l'ai jamais lu. Cette collection sent le vieux papier sur mes étagères.

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  6. Bonjour Soie,
    Il me plaît bien ce roman, je le note !
    Je venais t'annoncer la 2e édition du Printemps coréen, en seras-tu ?
    http://laculturesepartage.over-blog.com/2014/01/challenge-printemps-coreen-2.html
    Bonne journée.

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  7. J'aime beaucoup le film mais je ne connaissais pas du tout le livre ! Merci à toi de nous le faire découvrir et j'ai très envie de le lire. Le côté désuet n'a rien pour me déplaire !

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  8. Pour l'atmosphère British, je le note :)

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