lundi 11 novembre 2013

Une averse - Kim Yu-jong


Recueil de nouvelles traduit du coréen par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet
Editions ZULMA, 2000, 148 pages


Le thème des nouvelles de ce recueil sont tout à la fois le couple - cette désastreuse entreprise - et la condition paysanne en Corée au début du XXème siècle. 

Kim Yu-jong (1908 -1937) connait parfaitement son sujet puisqu' il  abandonne à 23 ans  la ville et l'université pour retourner à Sille, son village natal. Il y  mène une vie vouée aux petites gens et à l'écriture, avant de mourir de la tuberculose à l'âge de 29 ans.

Côtoyant les ouvriers, les paysans et les marchands  d'alcool ambulants, il prend conscience de la misère qui règne en milieu rural, situation aggravée par l'occupation japonaise.
Il fonde alors une école du soir pour permettre aux personnes analphabètes d'apprendre à lire et à écrire.

Auteur de 30 nouvelles et de 12 essais, il fut membre du groupe littéraire Guinhoe créé en 1933 et remporta  en 1935 deux concours de jeunes écrivains organisés par les journaux Chosun Ilbo et Joseon Joongang Ilbo.

Sources : Note de l'éditeur et  KBS World.

Une averse est un recueil de neuf nouvelles :
- Une averse
- Automne
- Les Camélias
- La Marmite
- C'est l'printemps !
- Ma femme
- Amour conjugal
- La Vagabonde
- Canicule

Un court lexique à la fin du recueil donne les définitions des quelques mots coréens figurant dans ces nouvelles.

Début du XXème siècle : Kim Yu-jong nous livre ici des scènes de la vie paysanne coréenne, où la misère quotidienne laisse peu de place à la tendresse. La discorde est au cœur de chacune de ses histoires, hommes et femmes passent leur temps à se déchirer. 
Avec  un sens de l'humour qui peut surprendre vu le contexte, mais parfaitement maîtrisé, l'auteur nous dépeint sans fard ni complaisance une réalité où la survie est un combat quotidien, avec toutes les dérives qui en découlent : criblés de dettes, les hommes se réfugient dans l'alcool et le jeu. Battues par leur mari, les femmes sont acculées à la prostitution (Une averse) ou sont vendues (Automne). À 16 ou 19 ans, elles n'ont la plupart du temps connu que la misère et sont exploitées par les hommes, que ce soit leur mari ou  leur propre père (C'est l'printemps).
Dans La Marmite, le mari dépouille peu à peu sa femme au profit d'une marchande d'alcool ambulante avec laquelle il espère s'enfuir.
Néanmoins les femmes ne sont pas toujours présentées en victimes. Certaines se montrent retorses et manipulatrices.

Mais il y a parfois des retournements de situation et l'arroseur se retrouve arrosé.


Le style est vivant et haut en couleur, l'auteur n'hésitant pas à parler cru mais sachant aussi décrire avec poésie et délicatesse.

La dernière nouvelle, Canicule, est un peu à part, et, racontée sans fioritures, elle est aussi tragique que bouleversante.

Un recueil édifiant qui mérite d'être lu.

En voici quelques extraits :

UNE AVERSE

Il faisait nuit noire. La pluie redoublait, frappant de tous les côtés les murs de leur misérable chambre. L'eau suintait à travers le sol en terre battue. Deux morceaux de natte étalés à même le sol leur servaient de couchage. Point de lampe : il faisait aussi noir qu'en enfer. Les puces, qui les assaillaient de toutes parts, s'en donnaient à cœur joie.
     Mais, habitués à dormir habillés, ils s'étaient couchés tranquillement, ne prêtant l'oreille qu'au chant incessant de la pluie. La pauvreté leur avait interdit toute affection. (Page 20)

     Elle n'ignorait nullement que son mari avait besoin, d'urgence,  de ces deux wons. Mais pour elle, par rapport aux quelques sous qu'elle parvenait à gagner, c'était une somme colossale. Au petit matin, dès qu'elle avait ouvert les yeux, elle prenait sa sacoche, et se précipitait avant tout le monde à la montagne pour cueillir ici ou là quelques plantes recherchées, comme la raiponce ou les racines de de todok. Chaussée de rustiques sandales de paille, elle grimpait sur les pentes escarpées et allait d'un rocher à l'autre. Elle suait à grosses gouttes, à croire que son frêle corps laissait s'écouler toutes les forces qu'il avait accumulées depuis la plus tendre enfance.
   Entravant sa marche, sa vieille jupe sans doublure lui collait aux reins et aux jambes. Les ronces écorchaient férocement ses mollets moites de sueur. Et cette lourde odeur qui montait de la terre l'oppressait. Pourtant, rien qui ressemblât à une plainte ne venait traverser l'esprit de cette jeune femme qui se démenait de son mieux pour survivre.  (Page 11)

      Chunho se tenait assis, la colère ne l'avait pas quitté.
     A Inje, son village natal, il n'avait eu que de mauvaises récoltes. Criblé de dettes, il avait vécu sous la menace de créanciers qui se faisaient chaque jour plus pressants.
      Voilà trois ans de ça, il avait décidé de s'enfuir, de nuit, abandonnant tout, meubles et maison. Démuni, il avait erré d'une vallée à l'autre à la recherche d'un endroit meilleur pour vivre, traînant sa jeune femme par le poignet. C'était ainsi qu'il était arrivé dans ce village. Mais c'était partout la même chose : dès qu'il posait la main sur un manche de pioche, que ce fût ici ou ailleurs, il ne se sentait pour elle aucune sympathie. Seules se précipitaient généreusement à sa rencontre la sombre inquiétude et la faim. Les gens n'auraient pas trouvé raisonnable de lui laisser le moindre lopin de terre. Personne ne voulait l'engager comme ouvrier agricole car il n'y avait pas assez de travail. Dans ces conditions il n'avait pas, bien entendu, de quoi se nourrir. De plus, il s'était mis à jouer - car le jeu faisait des ravages chez les paysans en même temps que la pauvreté gagnait dans les campagnes (Pages 18-19)


AUTOMNE
    

     Ce n'est qu'ensuite qu'il a pris sa bourse (elle était accrochée à la boutonnière de son gilet  et fermée par une vieille ficelle). Il en a tiré un paquet de billets d'un won, tout crasseux, et il les a comptés, en s'appliquant bien, du premier au dernier, puis du dernier au premier, et une nouvelle fois en tournant la liasse sens dessus dessous. Avant chaque opération, il se mouillait les doigts sur la langue. Ces billets déjà bien baveux, Pongman les a ensuite comptés à son tour en y ajoutant de sa salive. Pour qu'ils deviennent bien beaux, les billets de banque, il faut sans doute y mettre beaucoup de salive.
     Là, si j'ai touché un sou de commission, sans blague, je veux bien changer de nom.


J'ai lu ce recueil dans le cadre du challenge Petit BAC 2013 chez Enna, catégorie phénomène météo.




4 commentaires:

  1. Il a l'air terrible et tentant, ce livre .J'aime bien decouvrir des ouvrages venant de pays "inhabituels";Ici s'y ajoute le destin de cet auteur, mort si jeune; Cette periode historique a été dure dans de nombreux pays, parfois on n'imagine même pas à quel point , et pourtant, les gens ont vécu , survécu et qq uns ont écrit pour en témoigner.Rien que pour ce devoir de mémoire , et souvent aussi pour la leçon de vie , il faut lire ce genre de livres .

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    Réponses
    1. C'est vrai que la littérature coréenne n'est pas encore très présente chez nous. Certainement dû aux faits que c'est une toute jeune république et qu'il nous faut attendre les traductions.
      J'ai oublié de préciser que l'auteur ne fait pas allusion à l'occupation japonaise, c'est l'éditeur qui l'a signalé.
      Ce livre permet à la fois de découvrir un auteur et une partie de la Corée du début du XXème.

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  2. Des nouvelles sud coréennes, voilà qui change!
    (psst, tu as eu mon mail?)

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    Réponses
    1. Oui, ça change un peu.
      Excuse ma réponse un peu tardive pour le mail, j'ai manqué de temps pour te répondre plus tôt.

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