lundi 31 mars 2014

Momo des Halles - Philippe Hayat

Allary Editions, 2014, 414 pages       

Quatrième de couverture :

"Nous avons quitté notre appartement de Fontenay-aux-Roses le 25 Août 1941. Pour moi, ce jour-là, le monde s'est défait."


Un matin de 1941, le jeune Maurice et sa petite sœur, Marie, se retrouvent livrés à eux-mêmes dans une chambre de service nichée au cœur des Halles. Paris est occupé par les nazis. Leurs parents viennent d'être arrêtés. Ils doivent se cacher et ne jamais dire qu'ils sont juifs.

Bulle, la prostituée de la chambre voisine, les prend sous son aile, et sa joie de vivre égaie leur clandestinité. Le jour, Maurice fait la classe à Marie. La nuit, il descend sur le carreau à la recherche d'un peu de nourriture. Au contact de trafiquants à la sauvette, il s'initie au commerce et prend goût aux affaires, jusqu'à devenir Momo, le petit prince des Halles. Pour un temps...


Inspiré de faits réels et remarquablement documenté, Momo des Halles est l'histoire d'un jeune garçon qui survit et s'impose dans une époque qui ne veut pas de lui. Un destin épique et émouvant.



Philippe Hayat, polytechnicien, entrepreneur, partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et le monde des affaires. Momo des Halles est son premier roman.



Coup de cœur pour ce premier roman de Philippe Hayat dans lequel j'ai tout aimé : les personnages, l'histoire, le style.
L'histoire de deux enfants juifs, Maurice et Marie, contraints de se cacher suite à l'arrestation de leurs parents, nous entraîne dans le Paris de l'occupation, plus précisément dans le quartier des Halles et au camp de Drancy (1/4 du récit environ pour ce dernier). Bulle, une prostituée, les prend sous son aile...

Nous suivons leur histoire depuis la nuit du  26 août 1941 jusqu'à la libération. Divisé en trente-neuf chapitres datés du 26 août 1941 jusqu'au  17 décembre 1944, le récit est raconté avec verve par Maurice (14 ans au début du récit.)


La grande originalité de ce récit est sa peinture de la vie des Halles sous l'occupation, une description haute en couleur,  digne du Ventre de Paris de Zola. On découvre l'univers des Forts, des placiers, des gardeuses, des pieds humides (revendeurs), des pavillons et du Carreau ... Un univers qui abrite aussi toutes sortes de trafics.
Dégourdi, futé, Maurice est de plus armé d'un courage à toute épreuve. Vite amené à  travailler pour assurer la survie de Marie et la sienne,  il se révèle rapidement doué pour le commerce. Déterminé à protéger sa petite sœur et animé d'une féroce rage de vivre , il trace sa voie parmi cette foule animée.
On ne peut que l'admirer, quand, de retour dans sa mansarde après son travail, il donne des cours à sa petite sœur Marie.
La description des Halles, incroyablement vivante et réaliste, m'a passionnée.
Bulle est une femme attachante... la vie dans les deux mansardes est illuminée par sa bonne humeur et sa générosité.

La partie se déroulant à Drancy, ce camp installé en  ville, m'a également vivement intéressée : outre les conditions de détention et les relations entre les prisonniers, on y découvre le rapport rédigé par un résistant.

Voici quelques extraits : 

La fuite - 26 août 1941

Il faisait encore nuit. Deux ou trois affaires dans un sac, Marie et moi avons quitté notre appartement comme des voleurs, laissant tout le reste bien en ordre comme si nous allions revenir d'un instant à l'autre. Les volets étaient clos depuis plusieurs jours déjà. [...] Marie ne pouvait pas s'arrêter de pleurer. "Complique pas", le lui répétais. Il a fallu que je m'énerve pour la sortir de là... [...]
J'ai pensé à prendre la petite boite à biscuits sur l'étagère, à côté du garde-manger. Elle contenait l'argent du mois, celui qu'on réservait pour les courses [...] cent quarante-trois francs, voilà toute la richesse que j'ai embarquée dans la panique. Avec mon costume...
Monsieur Surreau avait débarqué dans l'appartement au milieu de la nuit. "Vos parents ne reviendront pas tout de suite, il faut partir. Maintenant." C'était le Directeur de papa, le président des Etablissements du même nom. 
Nous nous sommes mis en marche sans dire un mot. On n'entendait que Marie qui sanglotait. (p 9-10)

Nous dépassions les maisons de nos camarades qui ne se doutaient de rien, nous abandonnions les chemins de l'enfance. Ce mati-là, pendant que nous courions derrière ce satané Surreau, quatorze années d'insouciance se volatilisaient aux premières lueurs du jour. (page 11)

Une cavale qui s'achève dans le quartier des Halles :

J'ai tout juste eu le temps d'apercevoir, au bout de la rue de la Cossonerie, la gueule ouverte d'une galerie énorme, aussi haute qu'un château, qui avalait des camions et des charrettes dans un boucan d'enfer. Avec ses poutres de métal, elle me fit penser à la Tour Eiffel où nous étions montés avec mon père le jour de mes treize ans. Une fois dans l'immeuble, Surreau ferma la porte d'entrée en la poussant de tout son corps. Une vieille porte en bois, lourde comme le malheur. [...]
Dans un dernier effort, nous avons gravi les six étages de l'immeuble. Sous les toits, au fond du couloir, Surreau a ouvert une petite porte. On s'est entassés dans une sorte de cagibi qui mesurait trois pas sur quatre, si mansardé qu'on pouvait à peine tenir debout. Le ciel était à portée de main, derrière une lucarne percée entre deux poutres. Un matelas crasseux tenait debout contre le mur, coincé par une table en fer et deux chaises de camping pliées. Un réchaud à gaz occupait le coin de la pièce face à la porte, sous un petit évier qui contenait deux assiettes, un verre et une cuiller. Toilettes sur le palier... Notre course éperdue finissait dans ce trou à rat. (page 13)


Allongés sur le matelas qui remontait contre la cloison, nous avons passé la journée en nage, à gamberger au rythme des pas et des claquements de portes. Pour ne pas avoir à sortir de cette chambre, nous étions prêts à tous les arrangements, manger comme des oiseaux, uriner dans le lavabo, et plus encore. Ce palier du sixième, c'était le hall de la gare Saint-Lazare. Des hommes et des femmes venaient, repartaient, riaient, gueulaient... Toujours les mêmes voix, du chuchotement au rire, de la chansonnette au juron. (p 19)


Trois tablettes de chocolat et cinq paquets de biscuits secs... Avec ça on pouvait tenir plusieurs jours . On donnait à ces quelques bouchées des allures de repas, je les nommais déjeuner, goûter ou dîner. (page 19)

Après le repas, Bulle ouvrit la fenêtre pour dissiper les odeurs de cuisine. Pendant qu'on faisait la vaisselle dans son petit évier, elle prit un tabouret et s'installa sur le balcon. Les genoux à l'air, elle allongea ses longues jambes par-dessus la balustrade et alluma une cigarette.
Par moments, elle jetait un coup d’œil par-dessus bord.
- Dis, Maurice, je t'ai déjà causé de mon capitaine? Il dirige une compagnie saharienne, là-bas, en Algérie. De temps en temps, les sables me le rendent... Tu le verrais dans son uniforme, avec son pantalon bouffant plus rouge que mes ongles et sa veste qui ressemble à un ciel d'été. Des fils d'or s'entrelacent des manches au képi, elles font des rosaces plus belles que les vitraux de Saint-Eustache. Pour lui, tu penses, je dresse le couvert gratis.
Elle reprit après un long silence, le regard perdu sur les toits des immeubles :
- On a dormi ensemble cette semaine. Il est reparti aux aurores. Pour notre dernière nuit, je voulais pas que le jour retrouve son chemin jusqu'à ma chambre. Avec la plupart des clients, les nuits sont trop longues et je danserais toute nue à la fenêtre pour que le soleil se lève. Mais avec lui, la lune me négocie chaque minute. Tu as remarqué, Momo ? Les nuits, elle ont jamais la longueur qu'il faut. (pages 68-69)

On sortit tous les trois. Coco hissa Marie sur ses épaules. De nouveau, toutes les lumières du Carreau étaient allumées. Des dizaines de véhicules à cheval ou à moteur occupaient le parvis. Ils venaient de Beauce, de Picardie, et même de Bretagne. A l'intérieur du marché couvert, les sacs de légumes débordaient des charrettes. Pendant des semaines, les paysans avaient livré leurs marchandises avec parcimonie et conservé leur production dans des chambres froides. Voilà qu'ils ouvraient leurs vannes... On découvrait l'abondance de leurs récoltes, carottes, choux, courgettes, pommes de terre et haricots. La décision de dégonfler les stocks avait été prise par quelques agriculteurs au bord de la faillite. La rumeur s'était ensuite propagée et tous s'étaient mis à écouler leurs réserves. Les Forts couraient entre les stands en déplaçant des montagnes de caisses. Les commerçants s'agglutinaient devant les étals, s'égosillaient pour passer commande et brandissaient leurs billets sans même regarder la marchandise. Les Parisiens s'étaient donné le mot, ils affluaient par milliers, bien décidés à effacer de leur esprit des semaines de disette. (page 137)

Je remercie Babelio et Allary Editions pour la découverte de ce livre.



samedi 29 mars 2014

L'heure d'été - Grand Corps Malade & Elise Oudin-Gilles

Je suis une grande fan  de cet artiste qui jongle en virtuose avec les mots et dont les textes révèlent une grande sensibilité.
Dans cette chanson, j'aime en particulier le contraste de sa voix avec celle d'Elise Oudin-Gilles, 
je trouve leur duo très réussi.

L'HEURE d'ETE (CLIC)



Horloge Musée d'Orsay
(Photo prise sur Internet)

Est-ce que c'est de la patience ou est-ce qu'on sait faire le dos rond ?
Est-ce que c'est l'expérience que nous ont enseignée nos darons ?
Mais ce qu'on a tous compris, c'est que la vie repose toujours
Sur l'enchaînement des opposés ; après chaque nuit il va faire jour

Partant de cette évidence ou d'une volontaire naïveté
On sait qu'après chaque inquiétude viendra l'instant de sérénité
Comme si, à l'échelle d'une vie, les choses devaient s'équilibrer
Après l'orage, les éclaircies ; aucun ciel ne reste encombré

Alors on s'est imprégné de cette capacité d'adaptation
Pour encaisser les coups, on a su entrer en mode mission
On sait que les tunnels ont une fin dans chaque moment de lucidité
Et que nos efforts ne sont pas vains quand la vie passe à l'heure d'été

Summertime and the living is easy
Fish are jumping and the cotton is high
Oh, your daddy's rich and your ma is good looking
So hush little baby, don't you cry


J'ai eu pas mal de patience et j'ai du faire le dos rond
Pour traverser en silence toutes mes journées peintes en marron
J'ai gardé l'envie de croire et j'ai toujours cru à l'envie
J'ai refusé de concevoir un présent cruel à vie

Comme le destin doit être aidé, j'ai avancé l'aiguille d'un tour
Je suis passé à l'heure d'été pour aller rejouer dans la cour
Comme le boxeur après le gong et le taulard après dix ans
Comme le civil après les bombes, après la lutte on est vivant

Vivant pour sentir le soleil, la nuit tombe de plus en plus tard
Et y a de la lumière de plus en plus longtemps dans nos espoirs
C'est vrai qu'on a passé l'hiver à donner des grands coups d'épée
Dorénavant la route est claire, on est passé à l'heure d'été

One of these mornings, you're gonna rise up singing
Then you'll spread your wings and you'll take the sky
But till that morning there's nothing can harm you
With daddy and mommy standing by (X2)




mercredi 26 mars 2014

La Marque de Windfield - Ken Follett

Titre original : A dangerous fortune (1993)
Traduit de l'anglais par Jean Rosenthal
Editions Robert Laffont S.A., 2002 pour la traduction française, 626 pages

Quatrième de couverture :
L'auteur de l'inoubliable fresque des Piliers de la Terre nous emmène ici au cœur de l'Angleterre victorienne. 
En 1866, plusieurs élèves du collège de Winfield sont témoins d'une catastrophe au cours de laquelle l'un des leurs trouve la mort.
Mais cette noyade est-elle vraiment accidentelle ?
Ce drame va marquer à jamais les destins d'Edward, riche héritier d'une grande banque, de Hugh son cousin pauvre et réprouvé, et de Micky Miranda, fils d'un milliardaire sud-américain.
Autour d'eux, des dizaines d'autres figures évoluent, dans cette société de pouvoir et d'argent, de débauche et de famille se mêlent inextricablement derrière une façade de respectabilité.

Il s'agit d'une lecture commune avec Hilde et Choupynette dans le cadre du challenge British Mysteries.


Ken Follett nous fait suivre ici le destin d'une famille de banquiers londoniens, les Pilaster, de 1866 à 1892. La Marque de Windfield tient à la fois de la saga familiale et du roman policier historique, mais pas tout à fait cependant, car, mis à part la zone d'ombres qui entoure l'accident du début, chaque fois qu'un crime est commis, le lecteur en est témoin  et en connaît donc l'auteur.

J'ai trouvé que cette histoire présentait deux points faibles :

- Le caractère des personnages manque de nuances et leur évolution, quand évolution il y a, est sans véritable surprise. Ils suivent simplement leur inclination.

Ainsi la mère d'Edward, Augusta, figure forte de ce roman, est dévorée d' une ambition sans mesures et prête à toutes les manipulations pour l'assouvir. Je trouve qu'il y aurait pourtant eu matière à exploiter des failles potentielles - elle a connu une rupture dans sa jeunesse, elle est coincée dans un mariage sans amour avec un mari rasoir et sans séduction - ou d'en faire une femme douée pour la finance. Car là où est juste manipulatrice (une excellente manipulatrice, il est vrai), elle aurait pu être brillante. Du coup je trouve son personnage intellectuellement étriqué. Le fait qu'elle aie un pouvoir notable sur le destin de la banque sans rien y connaître, même si les femmes étaient tenues à l'écart des affaires à cette époque, m'a un peu agacée (mon côté "féministe" l'a mal vécu... sourire)

Le père de Micky, Papa Miranda, lui,  c'est la brute épaisse dans toute sa splendeur, une sorte de caricature en fait.

Edward est paresseux et complètement sous l'emprise de Micky Miranda. En compagnie de ce dernier, il traîne sa flemme dans les maisons closes et autres lieux louches de la capitale. C'est un faible, mais il n'est pas cruel. 
C'est Micky, finalement, qui mettra le plus de temps à dévoiler totalement sa véritable personnalité, bien qu'il n'y ait guère de surprise car on pressent les choses dès le début.

Hugh s'avère un génie de la finance, doublé d'un homme intègre.

Il y a des personnages intéressants car avant gardistes parmi les femmes, comme Maisie et Rachel mais elles sont un peu occultées par Augusta, Hugh et Micky qui occupent le devant de la scène.

- Du fait du caractère sans nuance des personnages, la trame du roman  devient un peu répétitive : les événements changent et se renouvellent mais au fond, ce sont toujours les mêmes qui tirent les ficelles au détriment des autres... jusqu'à ce que...
Le véritable suspense consiste à savoir jusqu'où les uns et les autres vont aller

Mais Ken Follett a indubitablement le sens de l'intrigue et de la narration. Il est doué  pour entrecroiser les fils des destins des uns et des autres et ménager des rebondissements aux bons moments, si bien que, malgré ces réserves,  j'étais impatiente de connaître la suite.
J'ai retrouvé avec plaisir cette deuxième moitié du XIX ème siècle que j'affectionne et qui voit un monde en pleine mutation. La révolution industrielle qui s'est mise en marche fin XVIII ème  /début XIX ème est étroitement liée à l'essor des banques... prospérité ou crises financières dépendent du succès de certains projets dans lesquels les banques ont investi.
Le milieu de la banque,  ces luttes de pouvoir où l'on voit qu'un banquier prospère a plus de pouvoir qu'un chef d'état, m'ont intéressée et  cette histoire m'a, dans l'ensemble, captivée.

L'avis de Lou qui a également lu ce livre.

Cette lecture entre dans le cadre des challenge British Mysteries chez Lou,  I love London chez Maggie et Titine et Challenge XIXème siècle chez Fanny.




mercredi 19 mars 2014

Green Manor - L'intégrale - Fabien Velhmann et Denis Bodart

Editions Dupuis, 2010, 160 pages. 




Album regroupant "16 charmantes historiettes criminelles"

Dessins de Denis Bodart
Scénario de Fabien Vehlmann
Couleurs de Scarlett (épisodes 1 à 11), Scarlett, Denis Bodart et Etienne Simon (épisodes 12 à 16)

Ces histoires ont d'abord été présentées en 3 albums avant d'être regroupées dans cette intégrale.


Angleterre, époque victorienne. Le Green Manor est un club londonien pour gentlemen. Ils s'y retrouvent pour boire un verre et fumer le cigare. Mais pas seulement... Dans cette ambiance luxueuse et feutrée (fauteuils profonds et moelleux, lourdes tentures), en petit comité, à l'abri des regards indiscrets, nos beaux messieurs discutent  crimes... des crimes  qu'ils ont commis ou qu'ils s'apprêtent à commettre.
Mais il se pourrait bien qu'au Green Manor, les murs aient des oreilles... 

Je me suis régalée avec cet album, tant au niveau des illustrations que de l'ambiance et du scénario. Les chutes sont très bien trouvées et l'ensemble déborde d'humour. 
Chaque petite histoire (7 pages) est indépendante des autres, le fil directeur est qu'une scène au moins de chacune d'entre elles se passe au Green Manor. Elles se déroulent entre 1827 et 1897 mais ne sont pas racontées en suivant un ordre chronologique, ce qui n'est absolument pas gênant.

Ambiance et humour so british servis par un dessinateur belge et un scénariste français.

L'album en lui même est magnifique avec une superbe couverture qu'on croirait d'époque :-), au regard comme au toucher. Les finitions sont soignées. 






Les avis de Lou, Titine,  Le cottage de Myrtille, 

Lu dans la cadre du Challenge British Mysteries chez Lou, LC thème BD partagée avec Lou, Fanny, Virgule,  Syl,  

Cette lecture entre également dans la cadre des challenges suivants : Challenge XIXème siècle chez Fanny, challenge I love London chez Titine et Maggie, Challenge Victorien chez Arieste, Challenge Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie Bâtiment avec le mot Manor dans le titre)



mercredi 12 mars 2014

Bon voisinage - Ruth Rendell

Titre original : The Saint Zita Society (2012)
Traduit de l'anglais par Johan-Frederik Hel Guedj
Editions des Deux Terres, février 2014, 289 pages

Quatrième de couverture :
A Hexam Place, rue chic de Londres aux maisons géorgiennes, employeurs et employés vivent en étant persuadés que les petites affaires des uns n'ont aucun secret pour les autres. Dex, le jardinier, doit être un idiot asocial pour vénérer autant son téléphone et les voix qui en sortent. Henry, le chauffeur, se fait de toute évidence exploiter par son employeur qu'il attend des heures dans sa voiture, tout en étant l'amant de la femme et de la fille de ce dernier. Quant à Montserrat, la jeune fille au pair, elle a certainement une aventure avec l'acteur de série qui s'invite chez elle à des heures indues. Mais lorsque ce dernier disparaît, il en va de même des certitudes de tous : à Hexam Place, la mort accidentelle et la folie pathologique se côtoient à tous les étages.


J'aime beaucoup les romans policiers de Ruth Rendell, je la trouve très douée pour le suspense psychologique et en général j'aime bien la façon dont elle dresse les portraits de ses personnages. Puis ce roman se déroulant à Londres, je me réjouissais d'avance de le lire, d'autant plus que le thème des employeurs vus par leurs employés me plaisait bien.

Malheureusement je n'ai pas accroché à cette histoire. Je l'ai trouvé lente, je n'ai pas trouvé l'intrigue très crédible et j'ai trouvé le caractère de certains personnages et leurs réactions un peu convenus (comme la maîtresse de maison qui prend le chauffeur pour amant, par exemple). Ils m'ont fait penser à des personnages de série télévisée.
Un tiers de l'histoire s'est déjà écoulée lorsque le premier  "crime" - qui d'ailleurs n'en est pas un - survient. ça m'a paru long car bien qu'il y ait beaucoup de personnages - certes, il faut prendre le temps de tous les connaître - il ne s'était jusque là pas passé grand chose. Et là, je n'ai pas compris la réaction des personnages impliqués, elle me parait difficilement crédible. Tout comme l'endroit choisi pour dissimuler le corps : parmi les différentes possibilités, il se retrouve caché là où il de grandes chances d'être découvert sous quelques jours.
On ne fait pas vraiment connaissance avec les employeurs mais la plupart ne donnent pas envie de les connaître non plus. 
Les employés sont  assez nombreux : deux chauffeurs, une femme de ménage, une dame de compagnie, une jeune fille au pair, une nounou, un jardinier et une jeune fille, Thea, qui a un statut un peu particulier puisqu'elle rend des services à ses colocataires, qui en profitent pour l'exploiter. Pendant tout le roman je me suis demandée si elle allait enfin se rebeller. On croise beaucoup de monde mais finalement j'ai trouvé peu de personnages attachants... J'ai bien aimé le personnage de Rabia, la nounou, et le fait qu'elle apprécie sa liberté et son indépendance mais le choix qu'elle fait à la fin m'a un peu déçue.

Un rendez-vous un peu manqué avec ce roman policier qui ne m'a hélas pas semblé à la hauteur des autres œuvres de Ruth Rendell que j'ai lues.

De Ruth Rendell j'ai bien aimé La cave à charbon (roman policier) et Amour en sept lettres (recueil de nouvelles policières)
Je remercie Martine et les éditions des Deux Terres de m'avoir fait parvenir ce roman.

Cette lecture entre dans le cadre des challenges I love London chez Titine et Maggie et La Plume au féminin chez Opaline.


mercredi 5 mars 2014

La Neuvième Pierre - Kylie Fitzpatrick

Titre original : The Ninth Stone (2007)
Traduit de l'anglais par Céline Schwaller
Editions Actes Sud, Collection Babel Noir pour la traduction française,  2010, 494 pages

Quatrième de couverture :
Londres, 1864. Sarah O'Reilly, une jeune orpheline, s'est déguisée en garçon pour pouvoir travailler au London Mercury. Elle y fait la rencontre de Lily Korechnya, une chroniqueuse qui prend vite Sarah sous son aile. Lily a été engagée par Cynthia Hebert, dont l'époux est mort en Inde, pour dresser le catalogue de sa magnifique collection de bijoux. Son attention est attirée par neuf grosses pierres que le maharajah de Bénarès a confiées à lady Herbert afin qu'elle les fasse réunir en un navaratna, un talisman sacré. Elle remarque en particulier un diamant rouge sang flamboyant qui semble exercer une troublante influence sur ceux qui le touche.
C'est alors que surviennent deux horribles meurtres : deux hommes ayant été en contact avec la pierre sont retrouvés étranglés d'une étrange façon. Un simple d'esprit est accusé des deux crimes, mais ni Lily ni Sarah ne croient à sa culpabilité...
Des quartiers pauvres des bords de la Tamise aux palais disparus de Bénarès, de l'Angleterre victorienne à l'Inde sacrée, Kylie Fitzpatrick signe un roman plein de mystère et d'aventure qui mêle habilement meurtres, mythes, superstitions et philosophies orientales.

La Neuvième Pierre est un livre un peu à part, une énigme policière avec une part de surnaturel. L'énigme elle-même et sa résolution n'occupent pas le premier plan mais constituent plutôt un fil directeur pour une histoire qui se déroule dans le Londres victorien pour la première partie et en Inde, dans la ville de Bénarès, sept ans plus tard, pour la seconde.

Nous suivons les péripéties de la jeune Sarah, orpheline d'origine irlandaise, qui se démène pour faire survivre sa petite sœur Ellen et elle-même dans le Londres victorien, sans les faire tomber dans l'enfer de la prostitution, des asiles, ou du travail en usine.

Sarah et Ellen ont fait la connaissance de Ruby, qui tient  le White Hart, un pub situé dans l'Arpent du Diable (Devil's Acre), un quartier sinistre et dangereux au pied des tours de Westminster.  Les tripots y côtoient les maisons closes, la criminalité y est importante. Les deux sœurs ont "élu domicile" dans la cave du pub. Travestie en garçon, Sarah a réussi à obtenir un travail au London Mercury. Son déguisement sera bientôt un secret de polichinelle (on note que tout le monde l'appelle par son prénom) mais elle continue de se vêtir ainsi car elle trouve cette tenue infiniment plus pratique que celles traditionnellement réservées aux femmes.

En rentrant chez elle en début de soirée, Sarah pensa aux bordels d'enfants de Betty Street et de Dock Street, plus proches de Devil's Acre. Elle songea à quel point elle avait été près de rejoindre la parade entre Piccadilly Circus et Waterloo Place ; elle savait exactement quel prix on atteignait pour une vierge, c'était quelque chose qu'elle avait entendu "par hasard" au bar du White Hart. Quand le choléra avait emporté sa mère et son petit frère, Ellen et elle avaient dû survivre par n' importe quel moyen, et les perspectives étaient sinistres. Elle avait vu des filles travaillant à la fabrique d'allumettes et dont les joues avaient été rongées par le phosphore. Certaines en étaient même mortes. Maman avait toujours dit qu'elle préférerait mourir plutôt que d'aller à l'asile des pauvres, et quand sa maladie avait empiré, elle avait fait promettre à Sarah de ne jamais laisser Ellen être emmenée là-bas. (pages 33-34)

Au journal, Sarah se lie d'amitié avec une jeune veuve, Lily Korechnya, qui rédige sous un pseudonyme masculin des chroniques concernant des femmes d'exception. Officiellement, le journal n'emploie pas de femmes. Lily prend peu à peu Sarah sous sa protection.

Lady Cynthia Herbert, tout juste de retour d'un voyage en Inde où son mari est décédé dans des conditions mystérieuses,  possède une fabuleuse collection de bijoux. Elle engage Lily pour qu'elle lui en rédige l'inventaire.
Lady Herbert a également rapporté d'Inde neuf pierres précieuses, dont le joyau est un magnifique diamant rouge sang. Ces pierres lui ont été confiées par le maharajah de Bénarès, sous l'escorte de son garde Govinda, afin qu'elle les remette à un joaillier de Londres. Celui-ci devra assembler les pierres selon un dessin spécifique réalisé par Govinda pour réaliser un navaratna, un talisman sacré qui apportera puissance au maharajah. Mais cette puissance est à double tranchant car le navaratna peut se révéler maléfique. D'ailleurs, en Inde, aucun joaillier n'a voulu se charger de réaliser le talisman, effrayé à l'idée de toucher le diamant rouge.
Par ailleurs, Lady Herbert pousse Lily à se faire fabriquer par le même joaillier un médaillon de deuil en jais, où sera incrusté un motif de dentelle fabriqué avec les cheveux de son défunt mari.

Pendant ce temps Ellen, passe ses journées à vagabonder pieds nus dans Londres en compagnie de Holly Joe, un simple d'esprit. La petite se lie bientôt d'amitié avec Vikram, un jeune Indien tout récemment arrivé en Angleterre.

Plusieurs meurtres sont bientôt commis, et alors qu'il était sur le point de délivrer le navaratna et le médaillon de Lily, le joaillier est lui aussi assassiné. Le talisman disparaît, l'apprenti du joaillier également et deux autres personnes décèdent dans des conditions mystérieuses.

Un exemple de NavaRatna


Une enquête est lancée mais l'assassin et les joyaux demeurent introuvables...

Les destins de Sarah et de Lily vont s'entrecroiser et toutes deux seront amenées, à des moments différents, à voyager jusqu'en Inde.
C'est un roman construit de façon un peu particulière puisque les péripéties de tous les personnages nous sont rapportées sous forme de récit, sauf pour Lily dont les aventures et émotions nous sont confiées par le biais de lettres.
Les femmes occupent dans ce roman une place prépondérante. Sarah, qui porte culotte et fume la cigarette (et même le cigarillo), Lily, sa gourvernante Martha, qui se révèle être médium, , sont des personnages forts et attachants, des femmes qui peuvent s'éprendre d'un homme mais ont aussi besoin de leur indépendance. J'ai bien aimé également la petite Ellen et Holly Joe.

C'est une énigme policière originale, qui réunit dans un même roman le Londres victorien et l'exotisme et la spiritualité de l'Inde. Cette originalité est l'un des points qui m'a le plus séduite, y compris le côté mystique du récit. J'ai adoré les description de Londres et de l'époque victoriennes, très réalistes et  l'auteure n'en a pas été avare. Le passage sur la confection des bijoux de deuils, en particulier, m'a beaucoup intéressée (j'ignorais que cela existait), même si personnellement je trouve l'idée plutôt  macabre.

J'ai trouvé la partie se déroulant en Inde plus lente... j'aurais aimé ressentir davantage la magie de ce pays, il m'a manqué des scènes et des descriptions en extérieur. Sarah passe beaucoup de temps enfermée dans le palais qui m'a paru manquer de vie et d'animation, un peu froid malgré sa splendeur probable. Je n'ai pas eu l'impression qu'il s'y passait grand chose. Pour les femmes, c'est une sorte de prison dorée. J'ai trouvé également que les personnages (le maharajah, la maharani qui s'évade grâce à l'opium, Sarasvati) un peu falots par rapports aux personnages londoniens... exception faite du mystérieux et inquiétant Govinda, dont l'ambiguïté n'est levée qu'à la fin du roman. Par contre tout ce qui se rapporte aux divinités, y compris la redoutable Kali, m'a passionnée.

Je me suis laissée porter par la plume de l'auteur, et "envoûter" par ce fameux diamant rouge, en quelque sorte :-) Et s'il s'avère que dans ce roman, Diamonds are NOT a girl's best friends, c'est une lecture qui m'a beaucoup plu, pour son caractère original et son atmosphère.

Il s'agit d'une lecture commune que j'ai eu le plaisir de partager avec Lou et Titine dans le cadre du challenge British Mysteries.

Cette lecture entre également dans le cadre des challenges suivants : Challenge XIXème siècle chez Fanny, Challenge Victorien chez Arieste, La Plume au Féminin chez Opaline et I love London chez Maggie et Titine.

Je propose La Neuvième Pierre en livre voyageur. Si quelqu'un est intéressé, qu'il me fasse signe.



mardi 4 mars 2014

Le crucifié de Farriers' Lane - Anne Perry

Titre original : Farriers' Lane (1993)
Traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière
Editions 10/18, collection "Grands détectives", 2003 pour la traduction française, 414 pages


Le crucifié de Farriers' Lane est le 13ème tome des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt.


Le début : Alors que Charlotte et Thomas assistent avec Caroline Ellison, la mère de Charlotte, à une représentation théâtrale, le juge Samuel Stafford s'écroule sous les yeux de sa femme Juniper dans une loge voisine. L'avocat Aldolphus Pryce et le juge Livesey, qui se trouvaient également dans des loges toutes proches, accourent pour prêter secours. Le juge Stafford décédera quelques instants plus tard. Empoisonné. De l'opium est retrouvé mélangé à du whisky dans une flasque lui appartenant. Il s'agira alors pour Thomas de trouver quand et par qui l'opium a été introduit dans la flasque.

Thomas s'étant trouvé sur les lieux du crime, l'enquête lui est confiée. 
Très vite, il découvre que le juge Stafford s'apprêtait sans doute à rouvrir le dossier d'Aaron Godman, condamné cinq ans plus tôt à la pendaison  pour le meurtre de Kingsley Blane.  Pour cette affaire, le juge Stafford et le juge Livesey avaient siégé en appel, Aldolphus Pryce représentant l'accusation.  

Cinq ans plus tôt : Le corps de Kingsley Blane est  retrouvé crucifié sur la porte d'une écurie de Farriers' Lane ( traduction : l'allée des Maréchaux Ferrant), le flan  transpercé, probablement  par un clou à ferrer. A l'horreur du crime s'ajoute son caractère blasphématoire, qui, selon l'opinion publique,  trahit un coupable juif (le Christ ayant été condamné et crucifié par des juifs). Or, la victime était l'amant d'une actrice juive, Tamar Macaulay. Très vite les soupçons se portent sur le frère de cette dernière, Aaron Godman, aperçu tout près de Farriers Lane, le manteau taché de sang.  L'opinion publique crie vengeance justice, le Préfet de police harcèle les hommes chargés de l'enquête, les politiciens veulent à toute force un le coupable, des émeutes antisémites ont lieu dans la capitale... il existe d'autres suspects :  un ami de Kingsley Blane qui s'était querellé avec lui le soir même et Joshua Fielding, acteur et ancien amoureux de Tamar.  Même si certains points de l'enquête demeurent  un peu  flous (il n'est pas prouvé que le flanc de K. Blane ait été réellement transpercé par un clou à ferrer et l'arme du crime n'a pas été retrouvée, un témoin a changé sa version des faits, la ruelle où Aaron Godman a été aperçu n'était pas bien éclairée)  les preuves contre Godman sont jugées accablantes. Le procès est mené rondement mais "équitablement" et Aaron Godman est condamné à la peine de mort. Sa sœur Tamar ne cessera pourtant de clamer son innocence et pendant cinq ans, suppliera le juge Stafford d'examiner à nouveau les faits.


Pour Thomas, qui est amené à étudier de près l'affaire Blaine/Godman, les choses se compliquent lorsqu'il découvre que Juniper Stafford et Aldolphus Pryce ont une liaison. Il ne peut donc exclure l'hypothèse d'un crime passionnel. Pour couronner le tout, son supérieur Micah Drummond a la tête ailleurs, et surtout auprès d'Eleanor Byam (rencontrée dans le tome précédent, Belgrave Square), et sa belle-mère s'est éprise d'un des suspects possibles, l'acteur Joshua Fielding. Charlotte, pourtant peu encline à respecter les conventions sociales, non seulement s'inquiète à l'idée de Joshua Fielding puisse être coupable, mais est persuadée que sa mère va se ridiculiser à afficher son penchant pour un homme qui a 15 ans de moins qu'elle.

L'enquête piétine un long moment mais des rebondissements surviennent dans les 130 dernières pages et le rythme s'accélère. C'est un tome particulièrement sombre, avec l'antisémitisme pesant qui règne sur l'affaire, mais le climat me semble malheureusement assez réaliste car à cette époque en Angleterre (et ailleurs) la population d'origine juive était ostracisée. J'ai trouvé que les réactions des uns et des autres,  juges,  enquêteurs, témoins, suspects, famille, étaient bien vues. On y trouve un échantillon assez réaliste des réactions humaines : le gamin des rues qui  craint de se retrouver en prison,  la colère d'une population qu'on craint de ne pouvoir maîtriser, ceux qui se trompent en toute bonne fois, ceux qui campent sur leurs positions et qui ne supporteraient jamais de perdre la face, ceux qui doutent, ceux qui éprouvent du remord...

Ce qui est tragique et révoltant, dans ce tome, c'est le poids des préjugés et à quel point certains s'y cramponnent, persuadés dans leur aveuglement d'avoir raison ... et les préjugés, ici, ils sont légion : la justice britannique est la meilleure du monde et d'ailleurs sert de modèle, les actrices ne sont ni plus ni moins que des filles publiques, antisémitisme... préjugés et superstitions dignes du Moyen-Age et qui, on le voit, frappent toutes catégories sociales et ne sont pas propres aux personnes n'ayant pas reçu d'éducation.
C'est aussi une invitation à la réflexion sur les failles du système judiciaire.

Au niveau "technique", je pense que le lecteur flaire assez vite certains éléments dès le départ, néanmoins
l'intérêt pour l'enquête reste éveillé car il y a plusieurs niveaux d'intrigues. J'avais trouvé une partie des réponses (dont une juste avant Charlotte) mais il y a un détail que je n'ai découvert qu'à la fin... jusqu'au bout je me suis demandée comment le coupable s'y était pris.
Emily, partie se reposer à la campagne, est absente de cette histoire, Tante Vespasia ne fait qu'une brève apparition. C'est la mère de Charlotte qui est mise à l'honneur ici et j'aime beaucoup la façon dont sa vie évolue, on la sent se libérer des conventions sociales auxquelles elle s'est pliée une bonne partie de sa vie.
Je me suis à nouveau réjouie de  l'intervention de la jeune Gracie, je trouve que c'est un personnage très attachant.
Comme toujours, Anne Perry a le don des descriptions qui donnent l'impression de se retrouver dans le Londres victorien.




Lecture partagée avec Bianca, Fanny, Sybille, Claire, Céline






Rendez vous le mois prochain pour la quatorzième aventure de Charlotte et Thomas dans : Le bourreau de Hyde Park





Cette lecture entre dans le cadre des challenges suivant : British Mysteries chez Lou, I love London chez Maggie et Titine, Challenge Victorien chez Arieste, La Plume au Féminin chez Opaline, Challenge XIXème siècle chez Fanny.


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