mercredi 30 avril 2014

Depuis le temps de vos pères - Dan Waddell

Titre original : The Blood Atonement (2009)
Editions du Rouergue, Babel Noir, 2012 pour la traduction française. 392 pages

Quatrième de couverture :


Tout juste remis d'une enquête qui a manqué lui coûter la vie, l'inspecteur Grant Foster réintègre la Criminelle de Londres lorsque Katie Drake, actrice de théâtre sur le déclin, est retrouvée morte dans le jardin de sa propriété londonienne. Sa fille de quatorze ans, Naomi, est introuvable. Une seule piste : un cheveu sur le corps du cadavre. Lorsque les résultats des analyses ADN révèlent qu'il appartient à un parent de Katie Drake, Foster décide de faire une nouvelle fois appel au généalogiste Nigel Barnes pour tenter de retracer l'histoire familiale de la défunte.
[...]
Entre meurtres et disparitions d'enfants, dans une ambiance où  noirceur et humour font bon ménage, le deuxième volume des enquêtes du généalogiste donne plus que jamais son sens à l'expression "Les liens du sang"...

Né en 1972, Dan Waddell a travaillé comme journaliste pigiste pour de nombreux titres de presse outre-Manche. Il est l'auteur d'une série policière autour de la généalogie, où des crimes passés viennent hanter le présent. Depuis le temps de vos pères (Le Rouergue, 2012) fait suite à Code 1879 (Le Rouergue, 2010 ; Babel Noir n°57), prix Cezam Inter-CE.

C'est avec plaisir que j'ai retrouvé le duo Grant Foster / Nigel Barnes pour le second volet des "enquêtes du généalogiste".
Comme pour l'enquête précédente, il est question d'une série de meurtres commis de nos jours mais dont la cause prend racine dans le passé.
Les chapitres concernant l'enquête actuelle alternent avec ceux nous présentant, quelques générations plus tôt  Sarah et  Horton, deux adolescents en butte avec leur communauté... Sarah, quatorze ans, a selon les lois de cette communauté atteint l'âge de se marier et elle est promise à un homme de près de soixante-dix ans. Horton, comme d'autres jeunes gens de ce village, n'est plus le bienvenu dans son propre foyer car il porte ombrage aux hommes plus âgés qui convoitent les très jeunes femmes. Le seul salut possible, pour Sarah et Horton qui sont épris l'un de l'autre, pour conquérir leur liberté, est la fuite. Entreprise risquée car on devine dans ce village  une emprise menaçante de la communauté envers l'individu, avec des membres qui en surveillent d'autres et menace de représailles pour qui déroge au système.
Il s'agira évidemment de découvrir de quelle manière le destin de Sarah et Horton est lié aux meurtres commis dans le présent.
Je regrette un peu que la quatrième de couverture ait été aussi bavarde (j'en ai tronqué une partie :-) car - selon mon ressenti personnel bien sûr - cela tue un peu le suspense dû à certaines révélations qui de ce fait n'en sont plus vraiment. C'est d'autant plus dommage que l'auteur a ménagé le suspense pendant toute la première moitié du livre.

C'est une histoire très bien documentée et qui met en avant une facette plus récente de la généalogie, avec utilisation de l'ADN.
Le tandem Nigel Barnes / Grant Foster fonctionne toujours bien. Ce dernier est toujours en proie à ses vieux démons, mais en plus il est en pleine convalescence, l'enquête précédente ayant failli lui être fatale. L'arrivée dans son existence d'un gamin paumé et rebelle bousculera ses habitudes de solitaire et sera finalement une bonne chose pour eux deux.
Je regrette un peu qu' Heather Jenkins, la co-équipière de Grant Foster,  soit quasiment réduite dans ce tome à un rôle de figuration.

Lecture commune avec Lou, Titine, et Marie-Malyss :-).

Pour les challenges British Mysteries chez Lou et Petit Bac 2014 chez Enna (ligne "romans policiers", catégorie "sphère familiale" avec le mot PERES dans le titre)



samedi 19 avril 2014

Une petite pause...

Une petite pause le temps d'une semaine en famille...
J'essaierai de venir vous lire, mais mon blog va prendre des petites vacances.

Le billet concernant Le fantôme de Canterville est reporté (probablement au 29/04)

Je vous souhaite un excellent week-end prolongé et de bonnes vacances si vous en prenez.
A très vite !



jeudi 17 avril 2014

La femme dans la littérature coréenne


Je suis tombée par hasard sur la vidéo d'une conférence dont le thème était La femme dans la littérature coréenne.  Une conférence que j'ai trouvée très  intéressante, qui soulève le voile sur certaines facettes de la société coréenne. On y retrouve certains traits communs avec notre passé  :  pendant longtemps, en Europe, la femme a été  présente dans une littérature écrite par des hommes, qui y décrivaient un certain idéal féminin et y voyaient un moyen d'asseoir leur domination.  Encensée dans la littérature, la femme était en réalité cloîtrée dans sa chambre, mise sous laudanum ou déclarée hystérique et envoyée à l'asile si elle s'opposait trop fermement à son mari (la littérature victorienne est révélatrice de ces faits).
 La vidéo est disponible en fin de billet.

Cette année, comme l'année dernière, je me suis inscrite au challenge du Printemps Coréen chez Coccinelle. Je n'avais jamais lu de livres d'auteurs coréens auparavant,  j'espère donc découvrir ainsi un peu la littérature et la société coréenne  (à part Princesse Bari, toutes les œuvres que j'ai trouvées concernent la Corée du Sud)

Alors que l'année dernière j'ai lu 3 albums et 2 romans, cette année je n'ai sélectionné que des romans. Je me suis aperçue - dans ce que j'ai lu jusqu'à maintenant - que l'atmosphère des romans coréens est souvent sombre et dure. Des lectures qui sont parfois déroutantes, voire dérangeantes. J'ai trouvé la conférence intéressante car elle est venue compléter mes lectures et les éclairer un peu.

C'est une société qui semble assez machiste et le thème de la prostitution revient assez souvent. Le mari est  complaisant (Bienvenue - Kim Yi-seol) quand ce n'est pas lui qui encourage sa femme à le faire (Une averse - Kim Yu-jong)

Dans ma sélection de cette année, j'ai remarqué que plus de la moitié des auteurs étaient des femmes. 
Le portrait qu'elles font des hommes n'est guère flatteur : lâches et fainéants, démissionnaires de leur rôle d'époux ou de père (Les petits pains de la pleine lune - Gu Beong-mo, chronique à venir). On pourrait penser que le fait que les auteurs soient des femmes oriente les débats, mais Kim Yu-jong était un homme et il a dénoncé la même chose (en une époque  plus ancienne, il est vrai)

Certaines présentent les choses avec une ironie assez savoureuse, comme Eun Hee-kyung dans La voleuse de fraises. Dans l'extrait ci-dessous, que j'ai relevé lors de la conférence, une jeune femme y parle de son amant  :
Pendant notre cohabitation, il ne travaillait pas et il disait avoir sacrifié pour moi l'idée de gagner sa vie pour deux raisons : 
Tout d'abord parce qu'il aurait pu gagner tellement d'argent s'il avait voulu qu'il m'aurait rendu triste en ayant des aventures avec d'autres femmes, comme les hommes riches.
Ensuite, par égard envers moi-même pour que je ne devienne pas paresseuse en rêvant d'une vie facile. Il prétendait qu'il ne risquait pas  de tomber lui-même dans la paresse en restant inactif parce que son idéal de vie était l'inaction. [...]
 Il en allait de même avec son refus de faire le ménage. Autant il avait des conceptions progressistes sur le statut de la femme, autant il estimait que les travaux ménagers étaient une haute valeur intellectuelle et qu'ils prévenaient la dégénérescence sénile, c'est pourquoi il était ignoble de dépouiller la femme de ce droit fondamental. Ce qui ne voulait pas dire qu'il était un fainéant qui ne prenait part à aucune tâche domestique, au contraire. Afin de réveiller mon ambition cachée d'accomplissement féminin, il mangeait avec appétit le plat que j'avais mis du temps à préparer. Ainsi il participait activement à l'économie domestique et n'en retirait  qu'un bénéfice gustatif secondaire.




Je vous laisse avec la vidéo :



lundi 14 avril 2014

L'étranger des Carpathes - Karl von Wachsmann

Titre original : Der Fremde, tiré du recueil Erzählungen und Novellen, 1844
Traduit de l'allemand sous la direction de Dominique Bordes et Pierre Moquet
Editions Le Castor Astral, 2013 pour la traduction française, 64 pages

Quatrième de couverture :       
Dans une forêt sauvage secouée de vents terribles, un convoi de nobles seigneurs est pourchassé par des loups affamés. Dans leur course folle, les fugitifs parviennent aux abords du château maudit de Klatka, où ils sont secourus par un homme aux allures étranges. Peu de temps après, la jeune Franziska commence à souffrir d'un mal mystérieux, qu'aucun médecin ne parvient à guérir...


Un rendez-vous historique pour cette lecture puisque ce récit est celui qui a inspiré Dracula à Bram Stoker (1897) et Carmilla à J.Sheridan Le Fanu (1872).

La préface, très intéressante, dresse la liste des similitudes entre L'étranger des Carpathes et Dracula, et à la lecture il n'y a aucun doute. Je ne connais pas le récit Carmilla donc je ne peux faire aucune comparaison, mais j'ai lu Dracula en version  abrégée, et j'ai pu retrouver toute  l'histoire, et me plonger avec délices dans cette ambiance fantastique avec en prime le plaisir de découvrir le précurseur du genre.
 Cette histoire-ci se déroule en Slovénie. Comme  Dracula, Azzo, le vampire de ce récit, a le pouvoir de se faire obéir des loups, et de se transformer en brouillard... 
Une belle découverte que je dois à mon amie Malyss que je remercie.

64 pages à déguster à la pleine lune ;-)

Participation au challenge Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie lieu avec le nom Carpathes dans le titre) et au Challenge XIXème siècle chez Fanny.




jeudi 10 avril 2014

Les Morsures de l'ombre - Karine Giebel

Les morsures de l'ombre - Karine Giebel
Editions Fleuve Noir (Pocket), 2007, 278 pages

Quatrième de couverture :
Elle est belle, attirante, disponible. Il n'a pas hésité à la suive pour prendre un dernier verre.
A présent il est seul, dans une cave, enfermé dans une cage. Isolé. Sa seule compagnie ? Sa séductrice et son bourreau. Et elle a décidé de faire durer son plaisir très longtemps. De le faire souffrir lentement. Pourquoi lui ? Dans ce bras de fer rien n'est dû au hasard. Et la frontière entre tortionnaire et victime est bien mince...

Il s'agit de ma première "rencontre" avec Karine Giebel. Alex  m'avait déjà tentée à plusieurs reprises et Les femmes qui lisent sont dangereuses a ajouté la couche ultime lors d'un Top Ten Tuesday :-)



Je m'étais décidée pour Juste une ombre en première lecture mais finalement Les Morsures de l'ombre  est arrivé le premier entre mes mains. (Malgré leurs titres qui se ressemblent - ce que je trouve un peu dommage - les deux histoires n'ont rien à voir, si j'en crois la quatrième de couverture)

Mon avis :

Quand Benoît, policier, reprend conscience, il est emprisonné dans une cage au fond d'une cave. Son revolver a disparu. Comment est-il arrivé là ? Peu à peu ses idées se remettent en place et il se rappelle sa rencontre la veille au soir avec Lydia, une rousse splendide qu'il n'a pas hésité à suivre chez elle, dans une maison isolée de la région de Besançon. Car, on le découvrira bientôt, la fidélité n'est pas la vertu première de Benoît.

Mais la belle s'est métamorphosée en un monstre implacable assoiffé de vengeance. Qu'a bien pu  faire Benoît pour déclencher une telle haine ? C'est ce qu'il tente de découvrir, entre deux phases de révolte,   impitoyablement réprimées   par son bourreau. Huit-clos glaçant dans un cachot humide et sombre. Long chemin de croix conduisant tout droit en enfer, où la victime en pleine déchéance  ne peut cependant renier  son désir trouble pour son tortionnaire. Car Lydia est indéniablement séduisante.
Un course contre la montre s'est engagée :  alors que les collègues de Benoît se sont lancés à sa recherche, ce dernier s'évertue  à raisonner Lydia, à l'amadouer, à prouver son innocence.

Mais Benoît est-il réellement innocent ou cherche-t-il simplement à sauver sa peau ? Est-il coupable de ce dont Lydia l'accuse ou bien est-il (sont-ils ?) victime(s) d'une machination ?
La femme de Benoît a-t-elle découvert ses infidélités et a-t-elle tout manigancé pour se venger ?
Qui a bien pu déposer les preuves là où Lydia les a trouvées ? Des questions qui défilaient dans ma tête durant les quelques heures qui m'ont suffit pour dévorer ce livre.
La psychologie des personnages est assez sommaire et le style est succinct, mais efficace : on perçoit la rage et la vulnérabilité de Benoît, Lydia oscille entre des périodes de froide et calme détermination et des crises de fureur noire nourrie par la folie.

Un bon thriller avec un suspense captivant, pour quelques heures de bonne détente, sans chercher davantage. Un plaisir que j'espère retrouver avec d'autres titres du même auteur.

Mais avec Purgatoire des innocents et surtout Meurtres pour rédemption qui comptent respectivement 592 pages et 988 pages, par rapport à ce polar-ci qui en compte à peine 300, j'aurai davantage d'attente, notamment en ce qui concerne la psychologie des personnages.

J'ai apprécié la noirceur assumée avec un schéma qui sort des sentiers battus.


Une nouvelle contribution (française !) pour La plume au féminin chez Opaline. et une participation au challenge Petit Bac 2014 chez Enna (ligne polar, catégorie couleur avec le mot OMBRE dans le titre)




lundi 7 avril 2014

Bienvenue - Kim Yi-seol

Titre original : Hwanyeong, 2011
Traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel
Editions Philippe Picquier, 2012 pour la traduction française, 171 pages


Quatrième de couverture :
Yunyeong est prête à tout pour conquérir une vie meilleure : elle doit porter à bout de bras un bébé, un compagnon bon à rien, une sœur poursuivie par les créanciers, un frère accro aux jeux d'argent ainsi qu'une mère étouffante. Elle a décroché un emploi de serveuse dans un restaurant, qui se révèle être une maison de passe clandestine.
Un roman qui témoigne crûment de la brutalité des rapports sociaux et de la condition faite aux femmes en Corée - une réalité connue de tous mais soigneusement occultée. Yunyeong se débat contre la pauvreté et résiste à la violence et au mépris grâce à son insurmontable énergie qui,seule, lui permet de garder espoir.


Voilà une lecture percutante !

Yunyeong a 32 ans, un compagnon (Jeong-man), une petite fille de trois mois (Ayeong). Tous trois vivent dans un minuscule logement sur la terrasse d'un immeuble de trois étages de Séoul. 
La pièce où nous vivions était exposée à tous les vents. En hiver, elle était trop froide, en été, surchauffée. Pas vraiment l'endroit idéal pour un bébé. (p 22)

Quinze jours après avoir accouché, elle a dû reprendre le travail.

Flash back :

Yunyeong est l'aînée d'une fratrie de trois enfants. Leurs parents se sont endettés pour les élever. Les espoirs de la famille ont longtemps reposé sur Minyeong, la cadette, qui a brillamment réussi ses concours d'entrée à l'université. Pour financer ces études, la mère prend un emploi dans un restaurant,  Yunyeong travaille en usine et Minyeong poursuit ses études en pointillé tout en effectuant des petits boulots. Leur père est tombé malade. 

On lui diagnostiqua un cancer. Nous n'avions pas les moyens de le faire soigner. Il se retira dans un coin de la chambre et s'alita. Ma famille s'enfonça dans la misère.
Minyeong poursuivit sa scolarité en pointillé, menant de front ses cours et plusieurs petits  boulots et interrompant parfois carrément ses études pendant un ou plusieurs semestres pour travailler à plein temps.[...] Je faisais les trois-huit dans une usine, ma mère était employée de cuisine dans un restaurant et Junyeong* passait son temps dans les cybercafé à jouer à des jeux vidéos. En rentrant à la maison, chacun de nous se contentait de vérifier si mon père était encore en vie, de se servir une portion de riz dans l'autocuiseur et d'aller dormir. Le seul geste que nous accomplissions en pensant aux autres, c'était de remettre du riz à cuire quand il n'y en avait plus. (p34-35)
* frère de Yunyeong et de Minyeong.

Ma soeur lisait à la faible lueur d'une lampe de bureau. Pour se forcer à veiller, elle se donnait des gifles et se tirait les cheveux. Même quand elle  tombait de sommeil, elle ne s'allongeait pas sous sa couverture, elle s'endormait sur ses livres ouverts. (p 35)

Malheureusement, une fois ses études terminée, Minyeong, convaincue qu'on ne peut convenablement gagner sa vie avec un travail honnête,  investit dans des entreprises frauduleuses qui tournent mal, engloutissant  ainsi l'argent provenant de la vente de la maison familiale, puis les économies que Yunyeong réservait pour s'acheter une sandwicherie.

Leur frère est possédé par le démon du jeu.

Yunyeong s'est mise en ménage avec un homme qui passe des concours pour entrer sans la fonction publique sans jamais les réussir. C'est elle qui porte toute la famille à bout de bras.

Fin du flash back

J'avais recommencé à travailler deux semaines à peine après mon accouchement. Jeong-man, mon compagnon, n'avait même pas essayé de m'en dissuader. Nous n'avions pas le choix. Comme je n'avais pas tout à fait recouvré mes forces, je ne pouvais prendre un emploi à temps plein. J'avais distribué des prospectus à la sortie du métro, sur les pare-brise des voitures dans les parkings des centres commerciaux et dans les boîtes à lettres.[...] Toutes les deux heures, je rentrai chez moi pour allaiter ma fille. Le travail n'était pas difficile, mais la paie était minable. J'avais dû trouver autre chose. (page 7)

Mais sans qualification professionnelle, Yunyeong peine à retrouver du travail. Elle finit par être embauchée  au Jardin des Jujubiers, un restaurant tenu par Monsieur Wang, dans un village en banlieue de Séoul.
Tous les matins, elle franchit l'entrée du village et le panneau "Bienvenue !" matérialise cette frontière invisible et le début de sa journée,  tout comme le panneau "Au revoir !" en salue la fin  quand elle reprend la route pour rentrer chez elle vers minuit.
Outre Yunyeong, le personnel est composé d'une autre serveuse, Jini, et d'une cuisinière d'une cinquantaine d'années, Yun.
Les journées sont éreintantes, de 12 à 15 heures d'affilées à faire le ménage, courir entre la salle de restaurant, la cuisine et les pavillons annexes, faire le service, porter des piles de vaisselle... et le salaire est loin d'être suffisant.

Je gagnais à peine quarante mille wons par jours pour douze heures de travail. En outre, M. Wang avait décidé de retenir deux cent mille wons par mois, somme que je pourrais récupérer en partant, à condition d'avoir travaillé plus d'un an. Il m'en avait avertie en faisant passer cela pour de la générosité. [...]
Avant d'être embauchée par M.Wang,j'avais été refusée par plusieurs employeurs. L'usine où je travaillais avant la naissance de ma fille avait réduit ses effectifs et ne m'avait pas proposé de poste à mon retour.[...] Le temps passait. Je ne pouvais rester plus longtemps sans emploi sous peine de voir ma famille mourir de faim. Je m'étais présentée dans des restaurants, mais aucun n'avait voulu m'engager, même comme simple commis de cuisine. Raison invoquée : je n'avais pas d'expérience. Aussi m'étais-je répandue en courbettes devant M.Wang pour le remercier de m'avoir acceptée. (p 21)

Yun, elle, enchaîne deux emplois pour pouvoir subvenir à l'entretien de sa famille :

[...] Yun sortit de la cuisine. Elle allait passer chez elle pour préparer le dîner de sa famille avant de repartir travailler dans un autre restaurant, un de ceux qui servent vingt-quatre heures sur vingt-quatre des soupes chaudes à des hommes souffrant de la gueule de bois.[...]
Le mari de Yun, qui dirigeait une fabrique de canapé avant la crise, était maintenant manœuvre à la journée. La moitié de l'année, il ne trouvait pas de travail. Ses deux fils étaient étudiants et gagnaient à peine leur argent de poche grâce à de petits boulots. Yun ne se reposait jamais. Elle avait quatre bouches à nourrir avec son maigre salaire. (p38-39)

Yunyeong découvre bientôt que le restaurant abrite des activités clandestines dans ses pavillons et que son patron a des projets assez particuliers pour son avenir professionnel.

[...] je n'étais pas au bout de mes surprises. Parfois, un ou deux hommes allaient s'installer dans un pavillon, et, peu après, Jini les rejoignait discrètement. La plupart étaient des clients fidèles qui connaissaient bien les activités annexes du restaurant. [...] Le jour où je découvris le pot aux roses, elle me demanda, tout en retouchant son maquillage : 
- Tu ne savais pas qu'on faisait ça, ici ?
Elle avait l'air encore plus étonnée que moi.
- Tu es bien naïve. Ou alors tu es stupide. (p 18-19)


Harcelée par son frère qui ne cesse de jouer et par les créanciers de sa  sœur qui est tombée dans l'engrenage du surendettement, avec un mari qui s'est réfugié avec le bébé chez sa mère et refuse obstinément d'en partir sous prétexte que la petite pleure quand il s'éloigne, Yunyeong ne voit plus d'autre solution que de se prostituer à son tour.

C'est un roman très dur et très dure est la vie des femmes, que ce soit celle de la narratrice, de Jini, de la cuisinière ou bien  qu'il s'agisse du destin tragique de Mynyeong. Pourtant l'auteure, par la voix de Yunyeong, ne sombre jamais dans le misérabilisme. Le style est cru, les phrases assez courtes s'enchaînent sur un rythme rapide, à l'image des journées de Yunyeong qui est animée d'une énergie et d'un courage indomptables.

Il y a beaucoup de choses révoltantes dans ce livre et pas de place pour la pitié. Les passages où le père de Yunyeong, puis de mari de Jini, se trouvent tous deux atteints d'un cancer sont à la limite du soutenable et font froid dans le dos. Terrible aussi de voir que la petite Aeyong est atteinte d'un problème locomoteur - dont les parents ne semblent pas conscients au départ - et que l'argent manque pour la soigner.

Scandaleuse est l'attitude des deux grand-mères pour lesquelles les fils ont tout les droits et qui cèdent à tout.
Bien que ce roman soit très sombre, je trouve qu'il se lit bien, je ne pouvais m'empêcher de tourner les pages en espérant que Yunyeong arrive enfin à s'en sortir. La fin a été comme un coup de poing dans le ventre tant elle m'a surprise et révoltée.

Une lecture dure mais édifiante. Intéressante, en outre, à propos du fonctionnement de la société coréenne ( logement, les clauses abusives des contrats de travail comme celui de Yunyeong qui doit travailler un an sous peine de perdre une partie de son salaire, etc)






Kim Yi-seol est née à Yesan, en Corée du Sud,en 1975. Bienvenue est sa troisième publication.






Lu dans le cadre des challenges Printemps Coréen chez Coccinelle et La plume au féminin chez Opaline.



samedi 5 avril 2014

Love !!!

Sur le Pont des Arts...


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Paris - Ier arrondissement
(juillet 2013)


Bon week-end !

vendredi 4 avril 2014

Jack Rosenblum rêve en anglais - Natasha Solomons

Titre original : Mr Rosemblum's List (2010)
Traduit de l'anglais (Grande-Bretagne) par Nathalie Peronny
Editions Calmann-Lévy, 2011 pour la traduction française, 354 pages


Quatrième de couverture :
Depuis qu'il a débarqué au port d'Harwich en 1937, Jack Rosenblum, un mètre cinquante-cinq de ténacité pure, entend devenir un véritable gentleman britannique. Durant quinze ans, ne ménageant ni sa peine, ni son temps, il a rédigé un guide exhaustif des us et coutumes de son pays d'adoption. Il sait que la marmelade s'achète chez Fortnum et Mason, il connait par cœur les noms de tous les rois d'Angleterre, considère le bulletin météo de la BBC comme le moment phare de sa journée et ne parle plus allemand, sauf pour proférer des jurons. 
Malgré toute sa bonne volonté, son désir de se fondre parmi les sujets de Sa Royale Majesté se heurte à des obstacles. Notamment à la force d'inertie de son épouse Sadie, qui refuse obstinément d'oublier la recette de la Baumtorte, leurs amis d'autrefois, et ce monde juif allemand, anéanti, qui était le leur.
Jack reste pourtant persuadé d'avoir trouvé sa patrie. Pour que se réalise son rêve d'assimilation, il lui reste une seule épreuve à surmonter : devenir membre d'un club de golf à Londres. On ne veut pas de lui ? Qu'à cela ne tienne, il quittera la capitale pour s'installer à la campagne, entre les cochons et les jacinthes, et entreprendra de construire son propre green...

Natasha Solomons est née en 1980. Pour écrire ce roman, drôle, émouvant, aux allures de conte, qui a enchanté l'Angleterre et l'Australie, elle s'est inspirée de la vie de ses grands-parents.

J'annonce la couleur tout de suite : j'ai eu un gros coup de cœur pour Jack Rosenblum et son mètre cinquante-cinq de ténacité pure,  héros de ce roman plein d'humour pétillant et de tendresse.
Il s'agit d'un double coup de cœur même, pourrait-on dire, puisque monsieur l'a lu aussi et est également tombé sous le charme.


Jack, sa femme Sadie et leur fille, une famille juive de Berlin, sont venus s'installer en Angleterre pour fuir l'Allemagne et les persécutions des nazis. 
Ils s'installent d'abord à Londres où Jack se lance dans la fabrication de tapis. Son entreprise  devient rapidement prospère.
A leur arrivée sur le sol anglais, on leur remet une liste de recommandations à mettre en pratique pour faciliter leur intégration.
Décidé à se montrer digne de son pays d'accueil, Jack respecte la liste au pied de la lettre et va même jusqu'à la compléter de ses observations personnelles (d'où le titre anglais : Mr Rosemblum's list).
Mieux encore que s'intégrer, Jack veut DEVENIR un véritable anglais.
Cela passe, par exemple, par l'achat d'une splendide  Jaguar car les Anglais adorent les belles voitures.
15 ans après son arrivée, il ne lui manque plus que la cerise sur le gâteau : devenir membre d'un club de golf. Malheureusement, quelque soit la direction vers laquelle il se tourne, on lui claque la porte au nez. 
Jack et Sadie quittent alors Londres pour le Dorset où Jack a acheté une maison - pas en trop bon état - sur un grand terrain. Il entreprend d'y construire son propre golf.
Mais le terrain, en pente, et ponctué de creux et de bosses, semble peu propice à la réalisation du projet... Pendant que Sadie s’attelle au nettoyage de fond en comble de la maison, Jack sue sang et eau pour donner au terrain le relief de ses rêves.

La construction du golf, c'est l'épopée de l'intégration de Jack, qui devra en découdre avec la nature, la méfiance des habitants locaux et même le cochon laineux du Dorset, animal mythique que seuls les cœurs purs ont le privilège de  pouvoir apercevoir :-)
Avec humour, Natasha Solomons met le doigt sur le point névralgique : car pour pour réussir à s'intégrer, certes, il faut faire preuve de  bonne volonté, mais encore faut il que les autres aient envie de vous intégrer. Car Jack est sans cesse rattrapé par ses origines : tantôt il est le "boche" qui suscite la méfiance (durant la guerre il sera  incarcéré quelques temps car allemand donc soupçonné d'être hostile au régime...  un comble quand on sait qu'il est juif), tantôt il est "le youpin de service" quand il n'est pas tout simplement l'étranger au village.

Les efforts titanesques pour construire le golf m'ont paru une métaphore représentant ceux déployés pour un désir bien compréhensible : avoir un chez soi légitime, une patrie et être reconnu citoyen de cette patrie. Car leur patrie d'origine, l'Allemagne, les a chassés.

Heureusement, il y a diverses façons d'être anglais, c'est ce que nous montrera d'une manière que j'ai trouvée touchante et poétique la fin de ce roman.

Certes, Jack n'a pas que des qualités : certains pourraient trouver son opiniâtreté un peu ridicule et il lui arrive de jouer des tours pendables à son épouse Sadie.
J'ai trouvé intéressant, au travers du personnage de Sadie, d'avoir une une autre vision de l'immigration : Sadie reste endeuillée par la perte de sa famille (ses parents et son petit frère) et bien qu'ayant été persécutée, elle a le mal de son pays et de Berlin en particulier. Elle se sent aussi exclue de la complicité qu'entretiennent Jack et leur fille (assez absente du roman car elle est étudiante et ne vit plus avec eux.)
Elle s'isole chez elle où elle confectionne des pâtisseries magiques. Car un soupçon de magie saupoudre aussi ces pages. J'adorerais avoir un live de recettes comme celui de Sadie et savoir réaliser ses pâtisseries !

Ce roman, pétillant et frais, plein d'humour et de tendresse, est doux et savoureux comme une tranche de gâteau magique.  Dégustation à toute heure !

Citation de Jack : Nous ne devons pas être des coquelicots dans un champ de blé.

Les avis de Keisha,

Lecture participant aux challenges Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie verbe avec le mot REVE dans le titre), La plume au féminin chez Opaline et Des contes à rendre chez Coccinelle.





mercredi 2 avril 2014

Le bourreau de Hyde Park - Anne Perry

Titre original : The Hyde Park Headsman (1994)
Traduit de l'anglais par Anne-Marie Carrière
Editions 10/18, 2003 pour la traduction française, 411 pages

Quatrième de couverture :


La découverte de corps décapités dans Hyde Park fait resurgir une peur que les Londoniens n'avaient plus ressentie depuis Jack l'Eventreur. Et si Thomas Pitt, récemment promu commissaire, ne trouve pas très vite le coupable, on ne donne pas cher de sa tête !
Un premier cadavre est retrouvé sur un bateau, puis un second dans un kiosque à musique. Les indices sont bien maigres. Y a-t-il un point commun entre les victimes, un officier de marine respecté et un musicien ?
La population, la presse, les politiciens... tout Londres réclame vengeance. Jamais Pitt n'a été autant aux abois et si curieusement réticent à effecteur une arrestation. Et au moment où il en aurait le plus besoin, Charlotte, son épouse, semble incapable de l'aider...

Tome 14 des enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt


Suite à la promotion toute récente de Thomas, nous retrouvons la famille Pitt (presque) prête à emménager dans une nouvelle maison de leur  quartier de Bloomsbury, plus spacieuse que la précédente mais nécessitant de nombreux travaux. 

Pendant que Charlotte est au beau milieu des plâtres et des papiers peints - nous avons droit à quelques
The blue cup
Joseph Decamp (1858-1923)
recettes d'antan pour l'entretien de la maison - Thomas connaît des heures pénibles à son travail : alors qu' un tueur décapite ses victimes et les abandonne dans Hyde Park, l'enquête déjà difficile est compliquée par l'hostilité non dissimulée d'un de ses hommes, l'inspecteur Tellman, qui aspirait lui aussi au poste de commissaire. Par ailleurs, à cette époque, la valeur d'un véritable enquêteur n'est pas si facilement reconnue par rapport à un policier jouissant d'un statut social plus élevé et Thomas se trouve harcelé par ses supérieurs, qui lui laissent entendre qu'il a usurpé ses nouvelles fonctions.

Chez les Ridley, Emily a donné naissance à une petite fille et le couple est absorbé dans la campagne que mène Jack contre Nigel Uttley, représentant des Tories (ancêtre du parti conservateur).
Caroline Ellison est plus amoureuse que jamais de Josuah  Fielding, au grand dam de ses deux filles qui craignent de la voir mise au ban de la haute société.

La menace du Cercle Intérieur est toujours latente, nous en apprenons un peu plus sur son organisation et savoir qui en est membre et surtout qui peut bien en être à la tête est devenue une intrigue qu'on suit au fil des tomes.

J'avoue avoir un peu peiné pendant les premières 150 pages, malgré la participation brève mais toujours appréciée de Gracie. La police pose beaucoup de questions et ne découvre pas le début d'une piste, je trouvais qu'on tournait un peu en rond, je n'arrivais pas à trouver mon rythme et entrer véritablement dans l'histoire.
Puis le déclic s'est produit, et j'ai bien apprécié la suite. Anne Perry nous a concocté là une intrigue astucieuse. Si vous êtes adepte des séries ou romans basés sur le profilage, un détail devrait tout de suite vous mettre la puce à l'oreille. J'ai particulièrement apprécié l'expédition nocturne menée par les  deux sœurs en fin de roman.
Un bon opus même si l'un des mobiles m'a paru tiré par les cheveux  (je parle de celui concernant le conducteur d'omnibus). Personnellement, je trouve que cela manque un peu de détails sur la façon dont le coupable s'y est réellement pris pour attirer ses victimes sur les lieux de leur exécution, notamment la dernière.

Pour finir, attendez vous à une surprise concernant la grand-mère d'Emily et Charlotte, cette aïeule acariâtre... surprise qui laisse présager des échanges verbaux épiques dans les tomes à venir.

Lecture commune avec Bianca, Sybille, Claire, Fanny, Céline, Belette, Lou

Je ne participerai pas à la prochaine LC, Traitors Gate, car je l'ai déjà lu, tout comme le tome prévu pour le mois d'août. Mais je lirai les billets avec intérêt.
Pour ma part, je passe donc directement au tome 16, Pentecost Alley, en juin.

Lu dans le cadre des challenges suivant : British Mysteries chez Lou, Challenge XIXème siècle chez Fanny, Challenge Victorien chez Arieste, I love London chez Maggie et Titine et La plume au féminin chez Opaline.


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