lundi 30 juin 2014

Paddington - Michael Bond - Illustrations de R.W. Alley



Le mois anglais  s'achève aujourd'hui. Pour finir sur une touche de douceur, voici  deux albums (en anglais) des aventures de Paddington : Paddington Bear at the Circus et Paddington's London Treasuries - Four classic stories of the bear from Peru.



Paddington Bear at the Circus (nouvelle édition, 2000)
Michael Bond (auteur) - R.W. Alley (Illustrateur)
HarperCollins Publishers

Un cirque s'est installé en ville. Mr Brown a réservé des places pour toute la famille pour le soir même.
De nuit, avec ses guirlandes lumineuses, le chapiteau prend un air féerique.
Paddington envie le haut chapeau de Monsieur Loyal, qui doit lui permettre de stocker une grande quantité de sandwiches à la marmelade. :-)
Mais Paddington ignore encore qu'il va être malgré lui la vedette d'un numéro de trapèze...




Paddigton's London Treasury - Four classic stories of the bear from Peru. (2011)

Michael Bon (auteur) - R.W. Alley (Illustrateur)
HarperCollins Children's Books
96 pages

Contient quatre des aventures londoniennes de Paddington :

- Paddington at the Palace
- Paddington at the Zoo
- Paddington and the Marmalade Maze
- Paddington and the Grand Tour




* Paddington at the Palace

Paddington et Mr Gruber vont à Buckingham Palace pour voir la relève de la Garde. Mr Gruber s'est muni d'un appareil photo et Paddington d'un petit drapeau du Royaume-Uni. En traversant St Jame's Park, Paddington veut cueillir un bouquet de fleurs pour la Reine :-). Mr Gruber lui explique que c'est interdit et que de toutes façons, St Jame's étant un parc royal, toutes ces fleurs lui appartiennent déjà.
Mr Gruber et Paddington ont de la chance : l'étendard royal flotte au-dessus du palais, ce qui signifie que la Reine est chez elle.
Mais il y a foule devant les grilles du palais, et Paddington ne voit rien... Heureusement, une fois la foule dispersée, il sera invité à se faire prendre en photo avec les Gardes.

* Paddington at the Zoo

Judy, Jonathan et Paddington vont au zoo. Evidemment Paddington tient à emporter une provision de sandwiches à la marmelade. Mais il ne va pas en manger beaucoup ;-) ...




* Paddington and the Marmalade Maze

Paddington et Mr Gruber vont visiter Hampton Court Palace. Mais, dans les jardins du palais, suite à une remarque malencontreuse de Mr Gruber, un groupe de touristes pense qu'ils sont invités chez les Brown. Mr Gruber et Paddington s'échappent dans le labyrinthe végétal...

* Paddington and the Grand Tour
Mr Gruber et Paddington veulent faire un tour de Londres à bord d'un bus touristique. Mais les choses ne se passent pas comme prévues et Paddington est pris pour le guide...





Des histoires amusantes et des illustrations toutes mignonnes pour les tout-petits mais je ne pense pas que je vous apprenne grand chose.



Le mois anglais chez Chryssilda, Titine et Lou


Challenge I Love London chez Titine et Maggie et Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie animaux avec le mot BEAR dans le titre)

Le portrait de Mr W.H. - Oscar Wilde

Titre original : The portrait of Mr W.H. (1889)
Traduit de l'anglais et annoté par Jean Gattégno
Editions Gallimard, 1996, 143 pages

Quatrième de couverture :
Qui se cache derrière les initiales W.H. dans la dédicace des célèbres Sonnets de William Shakespeare ? Un généreux mécène, un ami imprimeur, un jeune et séduisant acteur ou Shakespeare lui-même ? Pour Oscar Wilde, c'est sans aucun doute Willie Hugues, un acteur spécialisé dans les rôles féminins qui fascina le Barde...

Passionné par le mystère de Mr W.H., Oscar Wilde se lance dans une enquête érudite et troublante sur le monde du théâtre élisabéthain.




Diverses hypothèses ont été avancées quant à l'identité de ce mystérieux W.H. auquel William Shakespeare a dédicacé ses Sonnets, parmi lesquelles Lord Pembroke (William Herbert), mécène de plusieurs poètes, Lord Southampton (Henry Wriothesley), protecteur de Shakespeare, William Hathaway, son beau-frère ...

Dans cet essai romancé, Oscar Wilde avance une nouvelle hypothèse : William Shakespeare aurait adressé ces poèmes plein d'une étrange passion (p21) à William Hugues, un acteur spécialisé dans les rôles féminins à une époque où la pratique du théâtre était réservée aux hommes et qui  aurait fait partie de la troupe de Shakespeare avant de la quitter pour celle de Christopher Marlowe.

Par le biais d'une fiction racontée à la première personne, (Oscar Wilde se met-il en scène lui-même ? Rien ne le dit mais rien ne dit le contraire :-) ) l'auteur analyse les Sonnets, appuyant sa théorie sur de nombreux extraits sur lesquels il jette une lumière nouvelle, tout en infirmant, arguments à l'appui, les hypothèses précédemment admises.

Cette exploration des coulisses du théâtre élisabéthain m'a vivement intéressée, avec  le plaisir de voir les poèmes de Shakespeare éclairés par la plume d'Oscar Wilde. Notons tout de même que le point de départ de l'histoire est une discussion sur les faux littéraires et qu'il est question d'un jeune homme qui aurait sur une certaine oeuvre une théorie insolite, aurait foi en sa théorie et commettrait un faux pour la prouver. (p12) (sourire)
Pour Oscar Wilde, l'art se doit indépendant de la morale et l'esthétique est supérieure à l'éthique. (Le Critique comme artiste - 1891)

Il est d'ailleurs beaucoup question de faux dans ce récit, que l'on parle de la scène et ses artifices, sa vie irréelle faite de visages peints et de déguisements (p47), ou du manque de sincérité et de trahison : La nymphe trahie nous parle de la "flamme fallacieuse" qui éclaire la joue de son amant, de l'"artificieux tonnerre" de ses soupirs, de sa "passion contrefaite". (p67) mais aussi de beauté physique, à laquelle à Oscar Wilde était si sensible.
Il [Cyril Graham, le faussaire] attachait toujours une importance absurde à l'aspect extérieur des gens, et il lui arriva de prononcer un discours à la Société des débats pour prouver qu'il valait mieux être beau que bon. (p19)

Une belle découverte pour laquelle je remercie Maggie.


Les fleurs écarlates de la passion elle-même semblent pousser dans la même prairie que les pavots de l'oubli. (p42)

Il est toujours stupide de donner des conseils, mais donner un bon conseil est criminel. (p20)


Le mois anglais chez Chryssilda, Titine, et Lou



Challenge XIXème siècle chez Fanny, Challenge Victorien chez Arieste, Challenge I Love London chez Maggie et  Titine et Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie objet avec le mot PORTRAIT dans le titre)



mardi 24 juin 2014

La déchéance de Mrs Robinson - Kate Summerscale

Titre original : Mrs Robinson's disgrace (2012)
Traduit de l'anglais par Eric Chédaille
Christian Bourgeois Editeur, 10/18, 2013 pour la traduction française, 399 pages

Quatrième de couverture :
1844, Isabella Walker épouse l'ingénieur Henry Robinson. 1850, elle s'éprend d'Edward Lane, jeune et brillant médecin, et relate cette passion fantasmée dans son journal intime. 1855, Henry dérobe ces écrits et l'accule au divorce, faisant de cette femme l'héroïne bafouée d'un procès scandaleux, qui excite les préjugés d'une société victorienne régie par les hommes. Un tableau saisissant de l'intenable condition féminine dans l'Angleterre corsetée du XIXème siècle.




La déchéance de Mrs Robinson se présente en deux parties :
- La première partie se déroule de 1850 à 1858  (l'auteure remonte même brièvement jusqu'en 1840 pour présenter la famille d'Edward Lane) et retrace la vie de Mrs Robinson depuis l'installation du couple en Ecosse jusqu'au jour où son mari, l'entendant prononcer le nom d'un homme alors qu' elle délire,  fait main basse sur son journal intime et sa correspondance. (Note : cet homme a lui-même une maîtresse et deux enfants illégitimes)
Cette partie permet de situer le procès dans son contexte.
- La deuxième partie concerne le procès proprement dit et ses suites.
Ces deux parties sont complétées par des arbres généalogiques permettant de situer les protagonistes et d'abondantes notes en fin d'ouvrage.

La déchéance de Mrs Robinson n'est pas un roman, ni un ouvrage de fiction. Il est basé sur un fait réel, que Kate Summerscale nous rapporte avec style assez sobre.

En 1850, Isabella Robinson, son mari et leurs enfants habitent Edimbourg. Elle a 37 ans. Pour elle il s'agit d'un second mariage, contracté sans grand enthousiasme, un peu sous la pression de ses amis. Son premier mariage l'a laissée veuve avec un enfant, et sans ressources financières.
Le second mari  d'Isabella est ingénieur, il est incroyablement cupide et ses affaires l'éloignent souvent de son foyer. C'est un couple sans tendresse, la vie  conjugale d' Isabella s'apparente à un grand vide affectif, sexuel et intellectuel.
Elle se lie  avec une de ses voisines, Lady Drysdale, une veuve fortunée autour de laquelle gravite un cercle intellectuel très actif.

Ses soirées attiraient des personnalités inventives et progressistes : des romanciers tels que Charles Dickens, qui s'était rendu à l'une d'elle en 1841 ; des médecins comme l'obstétricien et pionnier de l'anesthésie James Young Simpson ; des éditeurs comme Robert Chambers, fondateur du Chamber's Edinburgh Journal ; ainsi que quantité d'artistes, d'essayistes, de naturalistes, d'archéologues et de comédiennes. (p17/18)

Dans les hautes et spacieuses pièces de réception du premier étage, Isabella fut présentée à Lady Drysdale et au jeune couple avec lequel celle-ci partageait sa maison : sa fille Mary et son gendre Eward Lane. Natif du Canada, Mr Lane, juriste, avait fait son droit à Edimbourg ; aujourd'hui âgé de vingt-sept ans, il suivait des études de médecines. Isabella fut enchantée par le personnage. Il était "beau garçon, plein d'entrain, jovial", confia-t-elle à son journal ; il s'avérait "très intéressant". Par la suite, elle se reprocherait, comme souvent dans le passé, d'être si sensible au charme masculin. Mais une aspiration s'était emparée d'elle, dont elle aurait du mal à se défaire. (p19)

Edward Lane ouvrira par la suite un établissement spécialisé dans l'hydrothérapie en Angleterre.

Isabella se confie régulièrement à son journal, qui est pour elle d'autant plus important qu'elle se sent esseulée. Elle y mentionne son affection, mais aussi son désir pour Edward Lane, ainsi que, dans une moindre mesure, pour les deux précepteurs de ses enfants.
Dans son journal, Isabella fait parfois preuve d'un style un peu exalté , elle y consigne également ses rêves et l'impression qu'ils lui ont laissé. Je l'ai trouvée parfois un peu crédule ou prenant ses désirs pour des réalités, mais à sa décharge elle était sans doute rendue vulnérable par la solitude affective et toutes les frustrations qu'elle subissait.
Ce n'était certes pas une personne portée à la complaisance envers elle-même :

...assise sur la grève, [elle] se prit à méditer ses nombreuses imperfections. Anglaise de bonne famille, âgée de trente-sept ans, elle avait déjà, de son propre aveu, échoué dans chacun des rôles auxquels une femme de son époque était censée satisfaire. Elle dressa dans son journal la liste de ses manquements : "mes erreurs de jeunesse, mes provocations l'encontre de mes frères et sœurs, mon entêtement face à ma gouvernante, mon insoumission et mon peu de déférence à l'endroit de mes parents, mon absence de principe conducteur dans la vie, la nature de mon mariage et ma conduite au sein de ce mariage, mon attitude partiale et souvent brutale envers mes enfants, mon comportement étourdi pendant mon veuvage, mon second mariage et tout ce qui s'en est ensuivi." Elle s'était rendue coupable, jugeait-elle, d' "impatience face aux épreuves, d'affections erratiques, d'absence d'abnégation et d'application à bien agir, ceci en tant que mère, fille, sœur, épouse, élève, amie, maîtresse de maison." (p19/20)
Une énumération exhaustive et fastidieuse, mais qui montre de façon éclatante autant que glaçante le carcan de conventions qui pèse sur la femme victorienne.

Je savais déjà - suite à la lecture de romans et d'articles sur l'époque victorienne - que le mari et la femme ne représentaient  alors qu'une seule entité morale et que tous les biens de la femme, y compris ses effets personnels et les biens lui venant de sa famille devenaient la propriété de son mari. Ce dernier pouvait les conserver même en cas de divorce : en Angleterre, il faudra attendre 1884 pour que les femmes obtiennent enfin des droits sur leurs propriétés personnelles.
Aussi, dans la première partie de l'ouvrage, ce n'est pas sur le droit des femmes à l'époque victorienne et leur condition matérielle que j'en ai le plus appris. Par contre c'est  bien documenté sur les avancées médicales et scientifiques de l'époque, notamment la phrénologie (ça prend d'ailleurs parfois un peu des allures de traité de médecine alternative et je ne suis pas certaine que le détail des flatulences de tel ou tel homme célèbre soit d'un intérêt capital pour l'Histoire -_-. Par ailleurs s'il y avait un conflit entre son corps et son esprit, il y avait peut être aussi un conflit entre son système digestif et les repas gargantuesques qu'on avalait à l'époque)
Bon, j'arrête de faire ma mauvaise langue ;-)
On y côtoie  des personnalités éminentes comme Charles Darwin qui publiera De l'origine des espèces en 1859, Charles Dickens, Robert Chambers,  et évidemment Edward Lane . Ce dernier fait figure de pionnier en affirmant que le psychisme et le corps sont étroitement liés, et que l'un agit sur l'autre et inversement et on constate que le stress sévissait déjà (pour d'autres raisons que maintenant, notamment la révolution de l'environnement, comme le montre Charles Dickens dans Un quartier perturbé, un des récits de  Londres, la nuit). 

Mais la différence de cette oeuvre, par rapport à ce que j'ai lu jusqu'ici,  est en mettre en avant, au travers de l'histoire réelle d'Isabella Robinson, la violence faite au corps des femmes et par là-même, la violence psychologique qui en résulte. Je ne parle pas ici de corset, mais de l'interdiction pure et simple du droit de la femme à disposer, même en pensée, de son propre corps, à éprouver des émotions et à fantasmer,   une interdiction à toute forme de sexualité autre que dans le but de la procréation.

La femme est en quelque sorte désincarnée : son corps, perçu comme une âme pure et innocente, ne doit pas être "souillé", que cela soit par des artifices tels que le maquillage ou les plaisirs de la chair. (source Wikipédia)

Les hommes eux aussi étaient concernés par la rigidité des mœurs : l'homosexualité était considérée comme une déviance, la masturbation, idem, et dangereuse ( en fait, à part la position du missionnaire, on se demande ce qui n'était pas "déviant" -_- )

Mais entre ce qui était tolérés pour les hommes et pour les femmes, il y avait, évidemment, un gouffre:

La nouvelle législation en la matière [1858] stipulait que, pour obtenir le divorce, un mari devait se borner à établir l'infidélité de son épouse, alors qu'une femme devait prouver que son conjoint était non seulement infidèle mais également coupable d'abandon du domicile conjugal, de cruauté, de bigamie, d'inceste, de viol, de sodomie ou de bestialité. Ces deux poids, deux mesures se fondaient sur le danger que représentait la femme adultère. Parce qu'elle prenait le risque de porter l'enfant d'un autre, l'épouse infidèle menaçait les certitudes en matière de paternité, de lien de parenté, de succession, fondements de la société bourgeoise. L'archétype anglais de la femme adultère était la reine Guenièvre, créature dont l'infidélité causa la chute du royaume de son époux. (p 163)

Le divorce des Robinson a été un des premiers à être jugé par une cour laïque (la demande d'Heny Robinson fut la 11ème déposée depuis l' ouverture de cette cour début 1858). Les audiences étaient alors encore ouvertes au public, ce qui ne fut plus le cas par la suite.
Le récit de Kate Summerscale rapporte des inexactitudes quant à la présentation des faits par Henry à la Cour.
Notons de plus que : Lui aussi [un des magistrats] célibataire, il avait toutefois eu deux enfants (alors âgés de douze et dix-neuf ans) d'une femme non mariée, ce qui n'était pas un secret pour ses pairs. (p150)
et
Henry ressortait du journal comme "le couronnement de la méchanceté, de la mesquinerie, de la malhonnêteté et de la cruauté humaine"; son comportement avait laissé Isabella "désireuse d'échapper, presque à tout prix, à une union qui lui avait rendu la vie quasi intolérable." Et pourtant ce mari odieux, connu pour avoir une maîtresse et des enfants illégitimes, était parfaitement innocent aux yeux de la loi. (p 177)

De nos jours, dans le journal d'Isabella, on ne verrait pas de quoi fouetter un chat et un avocat démontrerait aussitôt qu'il pourrait s'apparenter à de la fiction.

Mais sous l'époque victorienne, il était proprement scandaleux qu'une femme puisse affirmer ses désirs sexuels d'une façon aussi "crue" et  c'était surtout cela que la "bonne société" n'était pas prête à admettre.
Une autre affaire est d'ailleurs évoquée, le procès de Miss Smith qui s'est déroulé à la même période...
Miss Smith paraissait se féliciter de sa transgression sexuelle, note le juge[...] Si sa conduite était choquante, bien pis le plaisir qu'elle prenait à l'évoquer. (p171)
Il est également fait mention du roman de Flaubert, Madame Bovary (1857) qui fut violemment critiqué et interdit en Angleterre, l'héroïne incarnant sans doute le summum de la dépravation ; mais le journal d'Isabella Robinson démontrait qu'une anglaise de la classe moyenne était capable d'attenter à la décence avec sa plume. (p 156)

Dans l'Angleteterre victorienne, la femme qu'est Isabella détonne à plus d'un titre. En effet, elle n'est pas croyante. Son comportement, ses idées, menacent les fondations de l'Empire.
Mais son mari, lui, obéit à des motifs plus pragmatiques : il est ivre de rage et de vengeance, et entrevoit la possibilité avec un divorce de faire main basse sur les biens de sa femme tout en déclenchant un scandale qui conduirait Edward Lane à la ruine.
La Cour va devoir établir si le contenu du journal d 'Isabella est véridique ou non, et si Isabella ne souffre pas d'une maladie faisant d'elle une maniaque sexuelle...
Dans les faits, toute femme éprouvant une puissante attirance pour un autre homme que son époux pouvait se voir qualifier de maniaque sexuelle. (p 210)
J'ai trouvé un peu longs également les passages relatifs à la gynécologie -  science toute nouvelle  - et les maladies mentales qui étaient supposées  découler des maladies utérines.

L'attitude du Dr Lane pour sauvegarder sa réputation n'est guère glorieuse, tout comme celle des amis d'Isabella... mais cela n'est pas spécifique à l'époque victorienne.

J'ai préféré la seconde partie à la première, j'y ai appris davantage de choses.

Mises à part mes petites remarques, ce fut lecture fort intéressante à l'initiative de Fanny pour le Challenge XIXème siècle en association avec le mois anglais chez Chryssilda, Titine et Lou.
Les avis d'Adalana, Malice, Titine , Miss Elody, Coquelicote, ...


La plume au féminin chez Opaline


Challenge Victorien chez Arieste


jeudi 19 juin 2014

Prends soin de maman - Shin Kyung-sook

Titre original : Ommarul Putakhe (2008)
Traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot
Publié par Oh!Editions, 2010 pour la traduction française, 254 pages

Quatrième de couverture :
Maman s'est perdue dans les rues de Séoul. Plus aucune trace à partir du quai du métro où la foule l'a avalée. C'est qu'elle ne connaît pas cette grande ville, ou si peu... Et qu'elle ne sait pas lire. Toute sa vie, elle l'a consacrée à sa famille. Son mari, ses enfants la cherchent sans répit, dans la ville comme dans leur mémoire.
Les culpabilités s'exacerbent, le cocon familial se déchire.
Et toujours cette question lancinante : où est maman ? Qui est maman ?

Sonyŏ, 69 ans , a disparu à  la gare de Séoul. Repoussée par la foule, elle n'a pas réussi à monter dans la rame de métro à la suite de son mari. Il faut dire que celui-ci marchait, comme d'habitude, devant elle sans l'attendre. C'est lui qui a les bagages et elle n'a aucun papier sur elle. Sonyŏ ne connait pas Séoul, elle et son mari habitent la campagne et ils étaient venus rendre visite à leurs enfants établis dans la capitale (ils ont quatre enfants, deux fils et deux filles)
Sonyŏ ne sait pas lire, et, suite à un AVC, elle est désorientée et souffre d'une certaine confusion mentale.

Sa famille se lance à sa recherche.
Une femme lui ressemblant a été aperçue en différents endroits de la ville - des quartiers où vivaient les enfants quand ils sont arrivés à Séoul trente ans auparavant. Mais chaque témoin mentionne que la femme en question portait des sandales bleues et était blessée au pied. Or, Sonyŏ, qui lors de sa disparition portait des chaussures blanches, a bien eu de telles sandales et une blessure au pied, mais, chose curieuse,  cela remonte également  trente ans...

Présenté en 4 chapitres et un épilogue, le récit laisse tour à tour la parole à la fille aîné, au fils aîné, au mari et enfin à Sonyŏ elle-même. La fille aîné reprend la parole pour l'épilogue.
Chacun pense à la disparue. Les souvenirs remontent, mais aussi les remords et la culpabilité. Peu à peu, le portrait de cette femme  se dessine...

Ce roman est un best-seller qui a été traduit en 19 langues et Shin Kyung-sook, née en 1963 en Corée,  est une auteure phare de sa génération. Elle a déjà publié une dizaine de romans et des nouvelles et a reçu pas moins d'une douzaine de récompenses littéraires.

Si, dans l'ensemble, j'ai bien aimé Prends soin de maman, j'ai quand même quelques petites réserves.

Au niveau du style, la partie concernant la fille aîné et le mari ainsi que l'épilogue sont racontés à la 2ème personne (tu), celle concernant le fils est racontée à la 3ème personne (il) et enfin celle narrée par Sonyŏ à la première personne (je). Certes, je m'y suis retrouvée quand même mais j'aurais trouvé plus simple de tout lire à la 2ème personne, sauf peut-être la partie réservée à Sonyŏ.
C'est cependant une réserve plutôt mineure.

Ma principale réserve vient du fait que j'ai trouvé à plusieurs reprises un côté excessif au roman.

J'ai bien aimé cette façon de faire intervenir tour à tour différents membres de la famille qui dévoilent chacun des facettes de la personnalité de Sonyŏ... et qui réalisent qu'ils se sont peu à peu éloignés d'elle et que finalement ils ne la connaissaient pas si bien que cela. Ne parlons pas du mari qui a passé la majeure partie de sa vie à s'éloigner pour vivre d'autres vies avec d'autres femmes et qui regagnait de temps en temps le bercail pour trouver une épouse (et parfois un enfant né entre temps) toujours prête à prendre soin de lui sans jamais avoir envers elle un mot ni un geste de gratitude ou de sympathie.
La vie de Sonyŏ est une vie toute entière dévouée à sa famille, mais elle ne se plaint jamais et elle est à ce point différente de son mari que j'ai eu parfois l'impression de voir une sainte se sacrifiant plutôt qu'une mère ou une épouse. Mais c'est à replacer dans le contexte de l'époque (j'en reparle quand je mentionne l'épilogue, à la fin du billet)

Nous apprenons que ce mariage était en fait un mariage arrangé, pour protéger la jeune Sonyŏ des soldats, un type de mariage qui semble avoir été assez courant à l'époque (Sonyŏ est née en 1936) :
Votre mariage avait été célébré alors que vous ne vous connaissiez pas. C'était juste après la guerre. Un armistice avait été signé en juillet 1953 entre le commandant en chef des forces alliées et son homologue de l'armée communiste, mais l'époque était encore plus troublée que pendant le conflit. La nuit, des soldats du Nord, affamés, descendaient pour fouiller le village. Les gens qui avaient des filles pubères s'empressaient de les cacher, car la rumeur courait partout qu'ils enlevaient les jeunes filles. Certains les dissimulaient dans un trou qu'ils avaient creusé près de la voie ferrée. D'autres se regroupaient dans une maison pour veiller la nuit durant. D'autres encore les mariaient dans la précipitation. Ta femme était née dans un village appelée Chinmoe, où elle avait toujours vécu jusqu'alors. Tu avais vingt ans quand ta sœur t'avait annoncé que tu allais épouser une fille de Chinmoe. Elle disait que vos dates et heures de naissance respectives présageaient une belle harmonie. Son village était encore plus isolé que le tien, dont il était distant d'une dizaine de lieues. A l'époque, les gens se mariaient sans s'être préalablement rencontrés. Ta sœur t'avait dit que la cérémonie aurait lieu dans la cour du domicile de ta promise en octobre, après la récolte du riz.   (p142)


De même, pour évoquer un autre trait excessif,  Sonyŏ est plusieurs fois confrontée à la maladie au cours du roman et si la désinvolture de son entourage semble dépasser l'entendement, j'ai trouvé sa guérison d'un cancer du sein sans autre traitement qu'une intervention chirurgicale peu crédible.

En revanche j'ai adoré la description de la vie dans la Corée rurale que l'auteure nous fait au travers de la vie de Sonyŏ. Une femme pudique et pleine de ressources, qui ne sait pas lire mais dont la fille aînée est romancière et qui a trouvé le moyen de se faire lire ses romans - car chez elle bien sûr personne n'a pensé que cela pouvait l'intéresser.
Une femme qui pousse ses enfants à aller habiter à Séoul car elle veut pour eux une autre existence que la sienne, sans pour autant se plaindre de sa vie.
Beaucoup de choses sont bien vues : la culpabilité, les remords - exacerbés par le fait que cette femme ait disparu, ce qui fait que sa famille ne sait pas ce qui lui est réellement arrivé - le frère aîné qui essaie malgré tout de reprendre une vie normale et sa sœur qui lui reproche ce qu'elle prend pour un manque de cœur.
Malgré le caractère peu flatteur du père, on le découvre plein de remords et je n'ai pu m'empêcher de sourire lorsque, hospitalisé, n'ayant pas trouvé sa femme à ses côtés à son réveil,  il s'était enfermé à clé dans les toilettes jusqu'à ce qu'elle revienne à l'hôpital.
D'autre part, j'ai aimé voir que Sonyŏ éprouvait elle aussi certains remords - des compliments qu'elle aurait voulu faire à ses enfants par exemple - et qu'elle avait également ses petit secrets.

On voit que, même quand ses enfants sont devenus adultes, une mère reste une mère et j'ai souris en "voyant" cette femme déterminée débarquer à Séoul chargée de paquets comme une mule, avec des plats qu'elle avait confectionnés, comme si son fils aîné n'avait pas mangé depuis 15 jours :-)

Quelques remarques faites dans l'épilogue m'ont marquée et je les ai trouvées bienvenues :

Il [Hyŏngch'ŏl] t'avait déclaré que vous faisiez peut-être erreur, en ne voulant considérer  la vie de votre mère que sous l'angle de la souffrance et du sacrifice. Que vous aviez gardé le souvenir d'une femme triste à cause de votre propre sentiment de culpabilité. Que, par là, vous réduisiez toute une existence à quelque chose de réellement dérisoire.[...] elle était émue par de petites joies qui étaient pourtant le lot commun.[...] Elle éprouvait de la gratitude pour ce que lui apportait chaque jour. Une personne qui pratiquait cette philosophie de la vie, avait-il conclu, ne pouvait pas être entièrement malheureuse. (p245-246)

Des mots de la cadette, dans une lettre à sa sœur aînée : 
Elle s'est sacrifiée corps et âme, en se débrouillant de son mieux avec les mauvaises cartes une son époque lui avaient distribuées - la pauvreté, la tristesse et la solitude -, en renonçant à toute espérance. (p236)
Et je trouve une bonne chose que la jeune femme - mère de trois enfants - avoue, tout en admirant sa mère, ne pas se sentir de taille à suivre la même voie et avoir besoin de vivre sa propre vie.



Malheureusement, peu de romans de Shin Kyung-sook (aussi orthographié Shin Kyeongsuk) sont traduits en langue française. J'aimerais beaucoup lire La chambre solitaire qui parait fortement autobiographique.

Challenge Printemps Coréen chez Coccinelle



La Plume au Féminin chez Opaline


mardi 17 juin 2014

Ma Cousine Rachel - Daphné du Maurier

Titre original : My cousin Rachel (1951)
Traduit de l'anglais par Denise Van Moppès
Editions Albin Michel,1952, 499 pages

Quatrième de couverture :
Philip, sans la connaître, déteste cette femme que son cousin Ambroise, avec lequel il a toujours vécu étroitement uni dans leur beau domaine de Cornouailles, a épousée soudainement pendant un séjour en Italie.
Quand Ambroise lui écrira qu'il soupçonne sa femme de vouloir l'empoisonner, il le croira d'emblée. Ambroise mort, il jure de se venger.
Sa cousine, cependant, n'a rien de la femme qu'imagine Philip [...]

Je n'avais aucun pressentiment en parlant à Ambroise, ce soir d'automne, à la veille de son départ pour son dernier voyage. Rien ne me dit que nous ne devions jamais nous revoir. C'était le troisième hiver que les médecins lui ordonnaient de passer à l'étranger, et j'étais habitué à son absence et à tenir sa place dans l'administration du domaine. (p 15)


L'histoire se déroule au XIXème siècle en Cornouailles et nous est racontée par Philip Ashley, un jeune homme de 25 ans. Devenu orphelin à l'âge de 18 mois, il a été recueilli et élevé par son cousin Ambroise Ashley, un propriétaire terrien qui est également juge de paix. Pour Philip, Ambroise est tout à la fois son cousin, son frère et son père, ils sont unis par une affection profonde et réciproque.

L'univers des deux hommes est presque exclusivement masculin. Le manoir n'emploie que des hommes et Ambroise affiche une certaine misogynie. Les seules femmes fréquentant le manoir sont les filles et l'épouse du pasteur lors du dîner dominical et Louise Kendall, la fille du parrain de Philip, qui se révélera une amie sincère.

 Le voyage d'Ambroise le conduit à Florence, où il rencontre une parente éloignée, mi-anglaise mi-italienne, et veuve d'un comte : Rachel Sangalletti. Tombé sous le charme de la veuve, Ambroise l'épouse assez soudainement. Alors que tout le monde attend le retour des mariés en Angleterre, ceux-ci prolongent leur séjour à Florence, la succession du 1er mariage de Rachel étant embrouillée et révélant de nombreuses dettes.

Après une période de silence, Philip reçoit de son cousin des nouvelles alarmantes. Ambroise a été victime d'une méningite, et bien que guéri, il demeure affaibli et est la proie de vertiges et de violentes migraines. Enfin Philip reçoit une lettre à l'écriture tourmentée où Ambroise accuse sa femme de vouloir l'empoisonner.
Réalité, ou manifestation d'une maladie mentale ? Le père d'Ambroise est décédé d'une tumeur au cerveau.
Philip part en catastrophe pour Florence, où, à l'issue d'un voyage de trois semaines, il apprend la mort de son cousin. Rachel est partie, emportant toutes les affaires du défunt, et nul ne sait où elle se trouve. Philip regagne donc l'Angleterre, après avoir prêté serment le long de l'Arno de venger la mort d'Ambroise.

Quelques temps après, Rachel annonce son arrivée à Plymouth. Alors qu'au manoir les domestiques souhaitent recevoir avec égard la veuve du maître, Philip, lui, dissimule avec peine sa colère et n'accepte de l'héberger que pour mieux confondre l'intrigante.
Mais Rachel n'est pas du tout la femme qu'il imaginait...

Mon avis :

Si Rebecca est mon roman préféré de Daphné du Maurier, Ma Cousine Rachel le talonne pour l'atmosphère qu'il distille. Certes, il n'y a pas de révélation spectaculaire comme dans Rebecca mais des rebondissements et un suspense psychologique parfaitement maîtrisé et maintenu jusqu'au dénouement. Celui-ci ne nous apporte pas une réponse claire - nous en sommes prévenus dès le départ - et je trouve que c'est une originalité et une des forces de ce roman.
500 pages qui se sont lues toutes seules - c'est une relecture mais j'y ai trouvé le même charme que la première fois -  auquel  le mystère, le XIXème siècle et l'Angleterre donnent une atmosphère particulière qui m'a captivée.
Le personnage de Rachel est ambigu,  la relation qui naît entre elle et Philip est ambiguë, ambiguïté rendue compréhensible par le fait que Philip est le vivant portrait d'Ambroise, tant au niveau physique que de la personnalité.
Philip est un jeune homme impulsif et assez crédule, ce qui s'explique par le fait qu'il a toujours mené une existence protégée. A part quelques années à Oxford, il a toujours vécu aux côtés d'Ambroise et manque d'expérience.
J'ai particulièrement apprécié les descriptions de la vie au domaine et celles du paysage environnant, et j'ai aimé la touche italienne exotique apportée par Rachel ainsi que sa passion pour les jardins. Passion qu'elle met en pratique en remodelant ceux du domaine, un projet amorcé avec Ambroise.
Les différents personnages rencontrés m'ont semblé bien dépeints, même si on ne croise certains que brièvement. L'affection des fermiers pour leur maître, notamment, est touchante. J'ai particulièrement  aimé le personnage de Louise, qui se montre une amie sincère et loyale, et que j'ai trouvée assez clairvoyante.

Ma cousine Rachel a été adapté à l'écran par Henry Koster en 1952 avec Richard Burton (Philip), Olivia de Havilland (Rachel), John Sutton (Ambroise), Audrey Dalton (Louise)





Un coup de cœur, lu dans le cadre du mois anglais chez Cryssilda, Titine et Lou pour la LC Daphné du Maurier.

Titine, Natoria  Lili  Yueyin et Shelbylee ont lu L'auberge de la Jamaïque
Fondant au Chocolat a lu Rebecca
Karine :) Yueyin et Choupynette ont lu Le général du Roi
Lilas et Fanny ont  lu L'amour dans l'âme
Lamousmé nous dresse un portrait de la famille Du Maurier

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Lu dans le cadre des challenges La plume au féminin chez Opaline, British Mysteries chez Lou, Challenge XIXème siècle chez Fanny et Challenge Daphné du Maurier ici-même



vendredi 13 juin 2014

Lady Susan - Jane Austen

Titre original : Lady Susan
Traduit de l'anglais par Pierre Goubert
Editions Gallimard, Folio, 2000, 117  pages
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On suppose que Lady Susan a été écrit  en 1793 ou 1794, alors que Jane Austen avait 18 ans. Il s'agit d'un roman épistolaire ( 41 lettres) qui se termine par une conclusion. Sans doute Jane Austen a-t-elle opté pour la forme épistolaire car elle était très en vogue à l'époque. 

Une veuve spirituelle et jolie, mais sans un sou, trouve refuge chez son beau-frère, un riche banquier. Est-elle dénuée de scrupules, prête à tout pour faire un beau mariage, ou juste une coquette qui veut s'amuser ? Le jeune Reginald risque de payer cher la réponse à cette question...

Jane Austen a transcrit ce roman au propre vers 1805 mais  elle n'a pas tenu à le faire publier. Le texte ne fut publié pour la première fois qu'en 1871, plus de cinquante dans après sa mort.

Au début du roman, Lady Susan s'apprête à quitter Langford et ses amis, les Manwaring, pour  rendre à Churchill chez son beau-frère, Charles Vernon, et sa femme Catherine. 
On découvre bientôt que Lady Susan est précédée d'une réputation sulfureuse et qu'à Langford, elle a entretenu une liaison avec M. Manwaring tout s'arrangeant pour détacher Sir James Martin de Melle Manwaring. En effet,  Lady Susan veut absolument que ce dernier  épouse sa fille Frederica (16 ans) car Sir James est fort riche. Mais il est aussi stupide, et Frederica s'oppose violemment au mariage. Sur le trajet vers Churchill, Lady Susan met donc Frederica en pension afin de lui rendre la vie aussi insupportable que possible dans l'espoir qu'elle cède.
Par ailleurs, le jeune frère de Catherine, Reginald, 23 ans, apprenant l'arrivée imminente de Lady Susan, ne peut résister à la curiosité et vient séjourner lui aussi à Churchill. Il connait la réputation de la jeune veuve, qui par ailleurs a essayé avec fourberie de se mettre en travers du mariage de Catherine avec Charles Vernon.

L'originalité de ce roman est que l'on connait les ressentis des uns et des autres - bien différents de ce qu'ils affichent en public - par le biais de leur correspondance privée. La plupart des échanges ont lieu entre Lady Susan et son amie intime Alicia Johnson, et Catherine Vernon et sa mère.

Terriblement fourbe et manipulatrice, Lady Susan est une très jolie femme qui  a beaucoup d'esprit et sait se montrer particulièrement éloquente. Elle arrive ainsi à retourner les situations à son avantage. Elle est aussi terriblement égoïste : la seule chose qui compte pour elle est son intérêt. D'ailleurs elle épouserait bien Sir James Martin elle-même si elle ne le trouvait d'une faiblesse aussi méprisable. C'est une mère négligente et tyrannique.
Rancunière, réussir à séduire un homme qui était prévenu contre elle est une vengeance savoureuse et elle jette évidemment son dévolu sur Reginald.

Seule Catherine, qui n'a pas oublié les manigances de Lady Susan pour tenter de faire échouer son mariage, voit clair dans son jeu. Elle aimerait éloigner Reginald tout en sauvant Frederica d'un mariage qui lui répugne. Un petit  roman  plein de rebondissements, avec des personnages qui surgissent là où on ne les attend pas et contrecarrent évidemment les plans des uns et des autres. Des caractères bien vus et différents : Catherine, sage et clairvoyante... Lady Susan, rouée et sans scrupules, complotant avec Alicia Johnson, qui n'est pas en reste pour manipuler les autres... Reginald, intègre mais un peu crédule et Frederica qui finalement fait preuve de caractère. Quand à Charles Vernon, il ne "vivait que pour faire tout ce qu'on attendait de lui". 
Avec à la clé cette question : Lady Susan parviendra-t-elle à ses fins ?

Finalement, si l'on observe bien jusqu'à la fin, à l'exception de M.Johnson, les hommes de ce roman sont un peu mous ou crédules,  et ce sont les femmes - quelle que soit leur personnalité - qui détiennent la vraie force de caractère.
Lady Susan est assez indépendante et refuse de se plier aux usages de la société, Federica se rebelle, Mme Manwaring se bat pour son mariage et Catherine cherche à protéger son frère et Frederica.


Le mois anglais chez Cryssilda, Titine et Lou
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Entre dans la cadre des challenges La plume au féminin chez Opaline, Petit Bac 2014 chez Enna (catégorie prénom)

lundi 9 juin 2014

Londres, la nuit - Charles Dickens


[...] la Tamise était effrayante à voir, les bâtiments sur les rives étaient enveloppés de noirs linceuls, et les lumières reflétées semblaient provenir des profondeurs de l'eau, comme si les spectres de suicidés les maintenaient là pour montrer où ils s'étaient noyés. Dans cette désolation, la lune et les nuages étaient aussi agités qu'une conscience coupable dans un lit défait, et l'ombre même de l'immensité de Londres semblait peser de façon oppressante sur la Tamise. 
Extrait de Promenades nocturnes (p 97)


Quatrième de couverture :
Dickens fut tout au long de sa carrière littéraire un inlassable marcheur et explorateur de Londres, de ses prisons, ses théâtres, ses monuments, ses rues commerçantes, ses gares, ses docks, ses asiles pour les pauvres, ses taudis, et son œuvre  romanesque est indissociable de ses enquêtes de journaliste.
Cette fascination pour l'espace urbain apparaît dans les articles présentés ici, publiés dans les deux revues qu'il dirigea, Household Words et All the Year Round . Dickens aimait tout particulièrement déambuler dans Londres la nuit et ses récits, tout en prenant leur source dans des notations sur le vif, dérivent souvent vers l'imaginaire et le rêve, mêlant l'observation sociale et la veine visionnaire, avec parfois une intensité quasi hallucinatoire. On le voit ainsi accompagner des inspecteurs de police dans leurs tournées à travers les bas-fonds et les taudis de la capitale ou dans leurs patrouilles nocturnes sur la Tamise, mais aussi rencontrer des créatures sans feu ni lieu dans un Londres hanté par les noyés de la Tamise. Cette modernité de Dickens, qui le situe entre Dostoïevski et Chaplin, fait de lui un immense comédien de l'inhumain.

Traduit de l'anglais, présenté et annoté par André Topia
Editions Payot & Rivages, 2013, 218 pages

1- Nuit sans sommeil
2- Perdu
3- Un quartier perturbé
4- Promenades nocturnes
5- La police enquête
6- En tournée avec l'inspecteur Field
7- En suivant la marée
8 - Scène nocturne à Londres
9 - Un amateur fait sa ronde

Londres, la nuit regroupe donc des articles de journaux que Dickens a publié dans Household Worlds et All the Year Round, deux revues qu'il dirigea successivement. La première est parue dans les années 1850, la seconde est née en 1859 et Charles Dickens l'a dirigée jusqu'à sa mort. Elle a alors été reprise par son fils aîné Charles Dickens Jr.
Ces articles sont rédigés dans des styles différents, mêlant des descriptions et des narrations factuelles de journaliste à un  style littéraire et une imagination de romancier.
Des cœurs   indiquent mes récits préférés.


Le premier récit, Nuit sans sommeil,  est un peu à part : Charles Dickens est allongé dans son lit, sans parvenir à trouver le sommeil. Des images lui surgissent à l'esprit, inspirées de souvenirs lointains ou plus proches, une sorte de divagation qui prend parfois des allures de cauchemar. Ce n'est pas mon texte préféré.

Quand il n'était encore qu'un tout petit garçon, Charles Dickens s'est un jour perdu dans la City. Résolu à aller tout d'abord voir les Géants du Guildhall (deux grandes statues de pierre), il a déambulé dans les rues  et n'a retrouvé sa famille que tard le soir. C'est un portrait plein de vie de ce quartier vu au travers de ses yeux d'enfant qu'il nous dresse dans Perdu 

Dans Un quartier perturbé  nous assistons aux  transformations profondes de Cambden Town, où Charles Dickens vécu de 1822 à 1823, suite l'implantation d'une ligne de chemin de fer. Ce récit est un mélange d'observations réalistes, décrites non sans humour, et de fantaisie littéraire .

The Railway Station - William Powell Frith - 1862


A partir de Promenades nocturnes, nous entrons véritablement dans Londres de nuit. Excepté La police enquête, qui résulte d'un entretien accordé par des policiers de Scotland Yard aux journalistes de Household Words, les récits sont le fruit du sens de l'observation d'un marcheur infatigable à l'esprit curieux qui s'intéresse à ses semblables et au monde qui l'entoure.

Promenades nocturnes   nous emmène à la suite d'un Dickens frappé d'insomnie dans le dédale des rues de Londres enfoncé dans le repos, après que les derniers pubs aient fermé leur porte et que les vendeurs ambulants soient rentrés chez eux. Il est alors environ deux heures et demi du matin, nous sommes en mars, il fait froid et il tombe une pluie battante... ne restent dans les rues que quelque malfrat dissimulé dans l'ombre d'un porche, des policiers, des employés tel l'employé du péage du pont de Waterloo que Dickens traverse exprès pour échanger deux mots avec lui. Il s'est mis dans la peau d'une "créature sans feu ni lieu" :

La pluie continuait à dégouliner des rebords des fenêtres et des crêtes des toits, des conduites d'eau et des gouttières, et bientôt l'ombre de la créature sans feu ni lieu se projetait sur les pavés menant à Waterloo Bridge ; la créature sans feu ni lieu avait dans l'idée de trouver une excuse, au prix d'un demi-penny, pour dire "Bonsoir" à l'employé du péage et entrevoir son feu. Un bon feu et un bon manteau et un bon cache-col de laine étaient des choses réconfortantes à voir lorsqu'on rencontrait l'homme du péage ; et aussi, c'était une excellente compagnie lorsque, l'air vif et bien éveillé, il faisait sonner la monnaie de pièces d'un demi-penny sur sa table de métal, comme un homme qui bravait la nuit et toutes les tristes pensées qui l'accompagnent, et n'avait pas envie de voir venir l'aube.(p96-97)

L'ambiance de cette nouvelle m'a particulièrement frappée, je croyais voir se refléter sous mes yeux les eaux sombres de la Tamise ou se dessiner dans l'ombre les contours de Newgate... ou entrer dans un théâtre vide à la suite de l'auteur...
J'ai découvert que Virginia Woolf a écrit un essai sur le même thème : Au hasard des rues, une aventure londonienne (Street haunting : A London Adventure) et évidemment j'ai très envie de le lire.

Dans La police enquête, des policiers racontent quelques unes de leurs affaires parmi les plus marquantes.

En tournée avec l'inspecteur Field nous entraîne à la suite dudit inspecteur à la recherche d'un malfrat  dans la misère des asiles de nuit du quartier de St Giles. Nous savons que cette expédition eût lieu en 1851 car Dickens évoque la Grande Exposition qui se tint cette année là à Hyde Park. Charles Dickens y évoque également la construction de New Oxford Sreet, qui entraîna la destruction de taudis, chassant leur population qui se retrouva sans abri.
C'est un récit très poignant mais je n'ai pas trop accroché, à la toute fin du récit, au style d'autocensure de l'auteur qui remplace par les mots "adjectif" ou "substantif" chaque juron sortant de la bouche du truand.
Ce récit peut d'une certaine façon être relié à Scène nocturne à Londres ❤ où l'auteur, accompagné de son ami John Forster, tombe, dans le quartier de Whitechapel,  sur "cinq tas de  haillons" recroquevillés contre le mur de l'Hospice, des indigents condamnés à dormir dehors en plein mois de novembre car l'Hospice est plein.

Par une nuit glaciale, nous nous retrouvons dans une embarcation  en compagnie de la police de la Tamise pour une sortie  En suivant la marée. C'est l'occasion de découvrir toutes sortes de trafics liés au transport fluvial :  ceux qui volent des clous ou autre matériel sur les chantiers maritimes pour les revendre, les Débardeurs qui déchargent les cargaisons sur les docks et dissimulent des colis dans les ourlets de leurs vestes... les Dragueurs, qui, sous prétexte d'aller chercher à la drague du charbon au fond du fleuve, rôdaient autour des péniches et autres embarcations non pontées, et lorsque l'occasion se présentait, jetaient par dessus bord toutes les marchandises sur lesquelles ils pouvaient mettre la main : afin de les remonter à la drague en cachette lorsque l'embarcation serait partie. (p189)

Enfin, Un amateur fait sa ronde nous entraîne dans le quartier de Limehouse et dans une usine de transformation du plomb.

Une carte de Londres est jointe à la fin du recueil.

Beaucoup de ces récits se déroulent dans une zone allant de la cathédrale St Paul à l'East End. Ils constituent une mosaïque sociale de la ville de Londres dans les années 1850 qui m'a vivement intéressée !
J'ai apprécié cette série de textes de 10 à 20 pages, certes on ne s'y immerge pas comme dans un roman mais cela permet de lire à son rythme et de faire une pause entre deux articles.


Le Mois Anglais, chez Cryssilda, Titine et Lou
LC Charles Dickens

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samedi 7 juin 2014

Les Quatre de Baker Street tome 1 - L'affaire du rieau bleu - Djian/Etien/Legrand


Les Quatre de Baker Sreet (tome 1) - L'affaire du rideau bleu 
Scénario : Jean-Blaise DJIAN et Olivier LEGRAND
Dessin et couleur : David ETIEN
Editions Glénat/Vents d'Ouest, 2009


Je crois avoir repéré pour la première fois cette BD lors du mois anglais 2013.
Enfin je l'ai entre les mains !
Un plaisir longuement attendu qui n'en est que meilleur.

Comme Green Manor, ce 1er tome est en train de faire avec succès le tour de la famille.

Une BD anglaise 100% française avec un scénario réalisé par JB Djian et O. Legrand , et le tout jeune dessinateur/coloriste David ETIEN.


Les Trois de Baker Street : 


Olivier LEGRAND
JB DJIAN
David ETIEN


La première aventure des Quatre de Baker Street se déroule à Whitechapel en 1889.

Charlie, Billy et Black Tom l'Irlandais, sont des gamins des rues de Londres. Ils font partie  de ce que Sherlock Holmes appelle sa police auxiliaire ou ses francs-tireurs. Des as de la débrouille, experts en "planques et filatures".
Au début de cette enquête, Les Quatre, qui ne sont pour l'instant que trois - le quatrième membre fera son apparition au cours de l'enquête -  viennent justement de finir une mission pour le célèbre détective.
Alors que Black Tom va retrouver son amie Betty, une petite fleuriste, celle-ci se fait enlever sous ses yeux. Seul indice : un des ravisseurs a un tatouage représentant une tête de mort et deux roses sur la main.
Nos compères se précipitent au 221B Baker Street pour demander l'aide de Sherlock Holmes, mais hélas celui-ci et le Dr Watson viennent de partir pour une enquête dans le Surrey. Charlie, Billy et Black Tom n'ont d'autre choix que de mener l'enquête eux-mêmes et Tom décide d'aller prendre des renseignements auprès d'un dénommé Patch...

Comment ne pas tomber sous le charme de ces gamins plein de vivacité et d'espièglerie ? Cette BD est pleine d'humour.  La gouaille des enfants est entrecoupée d'envolées lyriques chez Billy. J'ai trouvé les illustrations très réussies, dans des tons verts/gris et marrons qui s'accordent bien avec l'atmosphère victorienne très bien rendue. Les piques amicales de ses comparses envers Black Tom  reflètent un chauvinisme anglais fortement ancré et la suspicion - pour des raisons politiques - dont les Irlandais  étaient souvent victimes.
J'aime beaucoup les expressions des personnages, petits ou grands et leur façon de s'exprimer. Plongée réussie dans l'East End victorien, entre tripots et maisons closes. Avec de belles vues de la ville de Londres.

Coup de cœur !

Logo réalisé par Syl



Lu également ans le cadre des challenges British Mysteries chez Lou, I love London chez Titine et Maggie, challenge XIXème siècle chez Fanny et challenge victorien chez Arieste.

jeudi 5 juin 2014

Pentecost Alley - Anne Perry

Titre original : Pentecost Alley (1996)
Traduit de l'anglais par Alexandra Swiezawska et Anne-Marie Carrière
Editions 10/18, 2004 pour la traduction française, 381 pages

Quatrième de couverture :
Deux ans après les massacres de prostituées perpétrés par Jack l'Eventreur, un tueur est de retour à Whitechapel. Meurtres rituels dans les bas-fonds de Londres ou sombre affaire compromettant un club très privé ? Chargé de l'enquête, Thomas Pitt est sur le qui-vive. D'autant qu'il se retrouve confronté à la puissante famille des Fitzjames, dont l'influence lui interdit le moindre faux pas...

Un seizième épisode au parfum d'injustice et de corruption. Mais assisté de sa précieuse épouse, l'inspecteur Pitt n'est pas homme à se laisser intimider !



16ème opus de la série Charlotte et Thomas Pitt



Depuis sa promotion, Thomas ne s'occupe plus que de crimes pouvant avoir des répercussions politiques.
En cette nuit d'août 1890, il est appelé dans le quartier de Whitechapel où une prostituée a été étranglée. Les doigts et les orteils de la jeune femme ont été brisés et son corps a fait l'objet d'une mise en scène. De plus, on a retrouvé dans la chambre un bouton de manchette en or ainsi que l' insigne d'un membre du Hellfire Club au nom "d'un gentleman de bonne famille", Finlay Fitzjames. Un homme correspondant au signalement de Finlay Fitzjames a été aperçu sur place au moment du meurtre.
Thomas est donc amené à enquêter sur le Hellfire Club ainsi que sur la famille Fitzjames. Le père, Augustus Fitzjames, est un homme d'affaires puissant et impitoyable qui a amassé une  fortune considérable grâce à des opérations boursières, un homme de nature à se faire des ennemis
Quant au Hellfire club, il semble avoir été assez éphémère et n'avoir compté que quatre membres, de jeunes gentlemen qui se sont séparés brusquement dans des circonstances  obscures et avoir rompu tout contact entre eux. Une certaine réticence est perceptible chez les  anciens membres lorsque Thomas les interroge. Or, il se trouve que l'un d'entre eux est devenu pasteur et se dévoue auprès des indigents dans le quartier de Whitechapel.
Plusieurs pistes s'offrent à Thomas : soit Finlay Fitzjames est bien le coupable, soit quelqu'un cherche à  le compromettre personnellement ou, par cet intermédiaire, à se venger de son père.
Thomas est sur le point de résoudre l'affaire quand il se produit un coup de théâtre...


Si j'avais trouvé que les enquêtes précédentes piétinaient un peu et souffraient d'une certaine lenteur, ce n'est pas le cas de celle-ci. C'est un épisode assez particulier, où en fonction de  détails, d' attitudes, on soupçonne assez vite l'implication de certaines personnes. Mais ce n'est qu'une partie de la vérité. J'ai trouvé que l'enquête était bien ficelée, menée à bon rythme, avec un final haletant. Elle ménage divers rebondissements et laisse une belle place à Emily et Charlotte sans négliger Thomas. Les tensions sont vives dans Londres, surtout dans le quartier de Whitechapel : la colère est prête à éclater face à une justice et une police qu'on soupçonne d'être à deux vitesses et de ne guère de soucier du meurtre d'une prostituée.

[Rose, une prostituée ] : - La mort, chez nous, c'est tout le temps, c'est pas comme dans les beaux quartiers où les gens meurent confortablement. Ce docteur, il a été vraiment gentil. Il m'a dit qu'elle n'avait pas dû souffrir trop longtemps. Il a dit à Nan de mettre une bouilloire sur le feu et de nous faire du thé. Il a versé une goutte de cognac. J'ai jamais connu un type si...
Elle ne trouva pas le terme pour exprimer la chaleur inattendue avec lequel le médecin les avait traitées ; Lennox lui avait donné l'impression que son émotion avait de l'importance pour lui. Son visage s'adoucit ; un instant, Pitt entrevit la femme qu'elle aurait dû être si les circonstances de sa vie avaient été différentes. (p29/30)

Une lecture que j'ai beaucoup appréciée et que j'ai partagée avec Bianca, Sybille, Céline, Fanny et Claire.


Logo réalisé par Galéa du blog Sous les galets



Lu dans le cadre du Mois Anglais chez Cryssilda, Titine et Lou et des challenges I love London chez Maggie et Titine, La plume au féminin chez Opaline, British Mysteries chez Lou, Challenge XIXème siècle chez Fanny et Challenge Victorien chez Arieste.

lundi 2 juin 2014

Jane Eyre - Charlotte Brontë

 

   La jolie bannière ci-dessus a été réalisée par Eliza Lectures pour le Mois Anglais

Titre original : Jane Eyre (1847)
Traduction, préface et notes de Charlotte Maurat
Edité par la Librairie Générale Française en 1984, avec des commentaires de Raymond Las Vergnas (une précédente version sans commentaires a été publiée chez le même éditeur en 1964) - 663 pages

Plutôt que de publier la quatrième de couverture, je préfère  laisser l'héroïne se présenter elle-même, telle qu'elle le fait p:486

Je suis orpheline, fille d'un pasteur. Mes parents sont morts avant que j'aie pu les connaître. J'ai été élevée à la charge d'autrui, et mise dans une institution de charité pour y faire mon éducation. [...] où j'ai passé six ans comme élève, et deux comme maîtresse : c'est l'orphelinat de Lowood [...]
J'ai quitté Lowood il y a près d'un an pour devenir institutrice dans une famille.

Lorsque l'histoire débute, la petite Jane est âgée d'une dizaine d'année. Orpheline, elle a été recueillie par son oncle maternel. Celui-ci est décédé à son tour. Sur son lit de mort, il a arraché à sa femme la promesse de prendre soin de Jane et de l'élever.
Tâche qui répugne à la tante Reed, qui, tout comme ses trois enfants, ne rate pas une occasion de rappeler à la petite qu'elle vit à leurs crochets.
Jane mène donc une vie bien solitaire à Gastehead, la riche demeure des Reed, où elle est sans cesse malmenée par ses cousins, un peu plus âgés qu'elle, notamment par le fils de la famille, un tyran en culotte courte auquel sa mère voue un amour inconditionnel et aveugle.
Les domestiques eux-mêmes, dévoués à leurs maîtres,  lui témoignent peu de sympathie. Jane trouve refuge dans la lecture et dans son monde intérieur. Chétive et réservée, on la dit sournoise et laide :

Je lui faisais l'effet d'une comédienne précoce ; en toute sincérité, elle me regardait comme un composé de passions virulentes, d'esprit mesquin et de dangereuse mauvaise foi. p32

En entendant ce récit, Bessie soupira et dit :
"Cette pauvre Miss Jane est bien à plaindre, elle aussi, Abbot.
- Oui, répondit Abbot, si c'était une petite fille jolie et aimable, on pourrait compatir à son abandon, mais, véritablement, il n'est guère possible de se soucier d'un tel petit crapaud. p 43

Seule la gouvernante Bessie fait toutefois preuve d'un peu d'humanité à son égard, lui racontant des histoires ou lui rapportant des gâteaux de la cuisine.
Suite à une altercation particulièrement violente avec son cousin,  où il la frappe, Jane est injustement punie. Enfermée de longues heures sans chandelle dans une chambre qui se noie d'obscurité à la nuit tombée, la fillette est saisie de terreur et tombe en syncope.

La tête me faisait encore mal et saignait par suite du coup que j'avais reçu dans ma chute. Personne n'avait réprimandé John pour  m'avoir frappée par simple caprice, et, parce que je m'étais dressée contre lui pour arrêter cette folle violence, j'étais chargée de l'opprobre général. p28

Le médecin appelé trouve la santé nerveuse de la fillette ébranlée et suggère - après lui avoir demandé son avis -  qu'on la mette  en pension. C'est ainsi qu'un 19 janvier, Jane est envoyée à Lowood, institution de charité située à cinquante milles de Gasthead.  Elle y restera 8 ans, dont deux comme institutrice.

A Lowood,   Jane se trouve enfin respectée et noue ses premières amitiés en la personne d'Helen Burns, une élève, et plus tard en la personne de la directrice, Maria Temple - première personne à lui témoigner de la bonté.
Pourtant, sous la férule du glacial et impitoyable Révérend Broklehurst, qui est chargé de gérer les fonds de l'orphelinat, les conditions de vie sont spartiates : l'eau gèle dans les chambres en hiver, les élèves sont insuffisamment vêtues et doivent néanmoins passer plusieurs heures en extérieur, elles sont sous alimentées.

Affamée, et me sentant à présent très faible, je dévorais une ou deux cuillerées de ma portion sans me préoccuper de sa saveur ; mais lorsque la première violence de la faim fut apaisée, je me rendis compte que j'avais devant moi une pitance nauséabonde ; le porridge brûlé est presque aussi détestable que les pommes de terre pourries ; même en temps de famine, il vous donnerait bientôt la nausée. Les cuillers se soulevèrent lentement, je vis chaque élève goûter son porridge et essayer de l'avaler ; mais dans la plupart des cas, l'effort était bientôt abandonné. Le petit déjeuner se termina sans que personne se fût restauré (p 70)

A Lowood, Jane trouvera amitié, humanité mais aussi la nourriture intellectuelle dont son esprit est avide. Elle y reste jusqu'à l'âge de 18 ans. Suite au mariage de Miss Temple, qui abandonne alors la direction de l'établissement, Jane réalise  qu'il est temps pour elle de connaître de nouveaux horizons et passe une annonce pour trouver un emploi de préceptrice.

Elle se trouve engagée à Thornfied-Hall, propriété d'Edward Rochester, pour éduquer sa pupille, la petite française Adèle. Le maître des lieux, un homme d'une quarantaine d'année est un homme ténébreux, tourmenté, dépourvu de galanterie mais passionné, dont la cérébralité fait écho à celle de Jane. Ils s'éprennent l'un de l'autre. Mais d'étranges événements se produisent à Thornfield Hall...

Mon avis :

J'ai lu ce roman pour la première fois il y a environ 25 ans et je l'ai relu avec un réel plaisir. Bien que l'héroïne soit âgée d'à peine 20 ans, je trouve que ce roman peut trouver écho à tout âge, sans doute à cause de la maturité de caractère des personnages.
L'écriture est remarquable, riche,  fluide, fertile en  descriptions, notamment de la nature, des descriptions poétiques et variées. Les deux caractères principaux, Jane Eyre et Edward Rochester sont passionnés.
Jane est d'une grande force de caractère. La partie concernant son enfance n'est jamais larmoyante, on sent déjà une forte personnalité qui ne fait que s'épanouir tout au long du roman. L'héroïne cultive l'autodiscipline et puise toutes ses forces dans des principes qu'elle estime juste et auxquels elle reste fidèle.
Esprit féministe aussi qui trace le portrait d'une femme indépendante, qui  revendique l'égalité  des droits et l'égalité intellectuelle avec les hommes :

Généralement on croit les femmes très calmes ; mais elles ont la même sensibilité que les hommes : tout comme leurs frères, elles ont besoin d'exercer leurs facultés, il leur faut l'occasion de déployer leur activité. Les femmes souffrent d'une contrainte trop rigide, d'une inertie trop absolue, exactement comme en souffriraient les hommes ; et c'est étroitesse d'esprit chez leurs compagnons plus privilégiés que de déclarer qu'elles doivent se borner à faire des puddings, à tricoter des bas, à jouer du piano, à broder des sacs. p160

Les deux héros sont très cérébraux, Jane est avide de s'instruire, et elle comme E. Rochester recherchent les conversations intellectuellement stimulantes (Rochester  déplore la conversation banale de Mrs Fairfax). La personnalité de Jane la pousse vers des personnalités cérébrales comme Helen Burns, Maria Temple ou les sœurs Rivers, avec lesquelles elle se lance dans l'étude de la langue allemande.
On sent une quête de spiritualité également, dans la personne lumineuse d'Helen Burns.
La religion est d'ailleurs très présente dans les lignes du livre sans que j'ai trouvé cela pesant, mais il y a de fréquentes citations de la Bible et même Edward Rochester, rebelle et ayant tenté sans vergogne de transgresser les lois de l'Eglise, finit par plier et implorer ouvertement ce qu'il pense être la manifestation d'un châtiment divin.

L'époque victorienne était une époque très pieuse, mais les sœurs Brontë étaient filles de pasteur et je me suis demandée de qui Charlotte Brontë s'était inspirée pour les personnages du  Révérend Broklehurst celui du pasteur Rivers (glaçant et glacial, implacable et déshumanisé à force de "sainteté")
Le révérend Brokelhurst et le pensionnat de Lowood ont été inspirés à Charlotte Brontë par l'école de Cowan Bridge où sa sœur Maria, représenté dans Jane Eyre par le personnage d'Helen Burns, est décédée à l'âge de douze ans.
Hypocrisie de la société victorienne où le révérend - pingre et intégriste - vient rendre visite au pensionnat, accompagné de sa femme et de ses filles bien nourries, pomponnées et parées de satin, pour prêcher les bienfaits de la pauvreté et de l'humilité, suggérant, alors que les élèves avaient eu un repas immangeable, que jeûner forme le caractère. (NB côté hypocrisie, c'était du pareil au même en France à l'époque)

Il y a beaucoup de Charlotte Brontë en Jane Eyre :

Lorsque Charlotte fut en présence de Mr Smith, elle lui remit la lettre qu'il lui avait adressée. "De qui tenez-vous ceci ?", lui dit-il, comme s'il lui était impossible de croire que ces deux jeunes femmes vêtues de noir, de mince silhouette et de petite taille... pouvaient être Currer et Acton Bell en personne." (premiers pseudonymes de Charlotte et Anne Brontë) p6/7 préface

Le récit à la première personne du singulier donne une sensation de proximité avec la narratrice, comme si elle nous contait le récit où que l'on lise son journal intime.

On pardonnera à l'auteure un petit excès de chauvinisme :

En parlant de ses élèves :
[...] après tout, la paysannerie anglaise est la plus instruite, la mieux élevée, la plus digne de toute l'Europe. J'ai vu depuis lors des paysannes, des Baüerinnen ; mais les meilleures d'entre elles m'ont paru ignorantes, grossières et sottes, comparées à mes filles [...]

Et en parlant d'Adèle :

En grandissant, une solide éducation anglaise corrigea dans une large mesure les défauts qu'elle tenait de son origine française. p 630

Jane Eyre est un très beau roman que je classe dans mes coups de cœur.


Lecture commune avec Titine, Même les sorcières lisent et Cendrah dans le cadre du Mois Anglais chez Cryssilda, Titine et Lou et du challenge XIXème siècle chez Fanny.
Lamousme nous parle de Jane Eyre et des sœurs Brontë

Logo du Mois Anglais co-réalisé par Alexandra et Alicia





Entre également dans la cadre des challenges Les 100 livres à avoir lu chez Bianca, challenge Les Soeurs Brontë chez MissCornish , La plume au féminin chez Opaline, Challenge Victorien chez Arieste et Petit Bac 2014 (catégorie prénom) chez Enna.




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