lundi 31 mars 2014

Momo des Halles - Philippe Hayat

Allary Editions, 2014, 414 pages       

Quatrième de couverture :

"Nous avons quitté notre appartement de Fontenay-aux-Roses le 25 Août 1941. Pour moi, ce jour-là, le monde s'est défait."


Un matin de 1941, le jeune Maurice et sa petite sœur, Marie, se retrouvent livrés à eux-mêmes dans une chambre de service nichée au cœur des Halles. Paris est occupé par les nazis. Leurs parents viennent d'être arrêtés. Ils doivent se cacher et ne jamais dire qu'ils sont juifs.

Bulle, la prostituée de la chambre voisine, les prend sous son aile, et sa joie de vivre égaie leur clandestinité. Le jour, Maurice fait la classe à Marie. La nuit, il descend sur le carreau à la recherche d'un peu de nourriture. Au contact de trafiquants à la sauvette, il s'initie au commerce et prend goût aux affaires, jusqu'à devenir Momo, le petit prince des Halles. Pour un temps...


Inspiré de faits réels et remarquablement documenté, Momo des Halles est l'histoire d'un jeune garçon qui survit et s'impose dans une époque qui ne veut pas de lui. Un destin épique et émouvant.



Philippe Hayat, polytechnicien, entrepreneur, partage aujourd'hui sa vie entre l'écriture et le monde des affaires. Momo des Halles est son premier roman.



Coup de cœur pour ce premier roman de Philippe Hayat dans lequel j'ai tout aimé : les personnages, l'histoire, le style.
L'histoire de deux enfants juifs, Maurice et Marie, contraints de se cacher suite à l'arrestation de leurs parents, nous entraîne dans le Paris de l'occupation, plus précisément dans le quartier des Halles et au camp de Drancy (1/4 du récit environ pour ce dernier). Bulle, une prostituée, les prend sous son aile...

Nous suivons leur histoire depuis la nuit du  26 août 1941 jusqu'à la libération. Divisé en trente-neuf chapitres datés du 26 août 1941 jusqu'au  17 décembre 1944, le récit est raconté avec verve par Maurice (14 ans au début du récit.)


La grande originalité de ce récit est sa peinture de la vie des Halles sous l'occupation, une description haute en couleur,  digne du Ventre de Paris de Zola. On découvre l'univers des Forts, des placiers, des gardeuses, des pieds humides (revendeurs), des pavillons et du Carreau ... Un univers qui abrite aussi toutes sortes de trafics.
Dégourdi, futé, Maurice est de plus armé d'un courage à toute épreuve. Vite amené à  travailler pour assurer la survie de Marie et la sienne,  il se révèle rapidement doué pour le commerce. Déterminé à protéger sa petite sœur et animé d'une féroce rage de vivre , il trace sa voie parmi cette foule animée.
On ne peut que l'admirer, quand, de retour dans sa mansarde après son travail, il donne des cours à sa petite sœur Marie.
La description des Halles, incroyablement vivante et réaliste, m'a passionnée.
Bulle est une femme attachante... la vie dans les deux mansardes est illuminée par sa bonne humeur et sa générosité.

La partie se déroulant à Drancy, ce camp installé en  ville, m'a également vivement intéressée : outre les conditions de détention et les relations entre les prisonniers, on y découvre le rapport rédigé par un résistant.

Voici quelques extraits : 

La fuite - 26 août 1941

Il faisait encore nuit. Deux ou trois affaires dans un sac, Marie et moi avons quitté notre appartement comme des voleurs, laissant tout le reste bien en ordre comme si nous allions revenir d'un instant à l'autre. Les volets étaient clos depuis plusieurs jours déjà. [...] Marie ne pouvait pas s'arrêter de pleurer. "Complique pas", le lui répétais. Il a fallu que je m'énerve pour la sortir de là... [...]
J'ai pensé à prendre la petite boite à biscuits sur l'étagère, à côté du garde-manger. Elle contenait l'argent du mois, celui qu'on réservait pour les courses [...] cent quarante-trois francs, voilà toute la richesse que j'ai embarquée dans la panique. Avec mon costume...
Monsieur Surreau avait débarqué dans l'appartement au milieu de la nuit. "Vos parents ne reviendront pas tout de suite, il faut partir. Maintenant." C'était le Directeur de papa, le président des Etablissements du même nom. 
Nous nous sommes mis en marche sans dire un mot. On n'entendait que Marie qui sanglotait. (p 9-10)

Nous dépassions les maisons de nos camarades qui ne se doutaient de rien, nous abandonnions les chemins de l'enfance. Ce mati-là, pendant que nous courions derrière ce satané Surreau, quatorze années d'insouciance se volatilisaient aux premières lueurs du jour. (page 11)

Une cavale qui s'achève dans le quartier des Halles :

J'ai tout juste eu le temps d'apercevoir, au bout de la rue de la Cossonerie, la gueule ouverte d'une galerie énorme, aussi haute qu'un château, qui avalait des camions et des charrettes dans un boucan d'enfer. Avec ses poutres de métal, elle me fit penser à la Tour Eiffel où nous étions montés avec mon père le jour de mes treize ans. Une fois dans l'immeuble, Surreau ferma la porte d'entrée en la poussant de tout son corps. Une vieille porte en bois, lourde comme le malheur. [...]
Dans un dernier effort, nous avons gravi les six étages de l'immeuble. Sous les toits, au fond du couloir, Surreau a ouvert une petite porte. On s'est entassés dans une sorte de cagibi qui mesurait trois pas sur quatre, si mansardé qu'on pouvait à peine tenir debout. Le ciel était à portée de main, derrière une lucarne percée entre deux poutres. Un matelas crasseux tenait debout contre le mur, coincé par une table en fer et deux chaises de camping pliées. Un réchaud à gaz occupait le coin de la pièce face à la porte, sous un petit évier qui contenait deux assiettes, un verre et une cuiller. Toilettes sur le palier... Notre course éperdue finissait dans ce trou à rat. (page 13)


Allongés sur le matelas qui remontait contre la cloison, nous avons passé la journée en nage, à gamberger au rythme des pas et des claquements de portes. Pour ne pas avoir à sortir de cette chambre, nous étions prêts à tous les arrangements, manger comme des oiseaux, uriner dans le lavabo, et plus encore. Ce palier du sixième, c'était le hall de la gare Saint-Lazare. Des hommes et des femmes venaient, repartaient, riaient, gueulaient... Toujours les mêmes voix, du chuchotement au rire, de la chansonnette au juron. (p 19)


Trois tablettes de chocolat et cinq paquets de biscuits secs... Avec ça on pouvait tenir plusieurs jours . On donnait à ces quelques bouchées des allures de repas, je les nommais déjeuner, goûter ou dîner. (page 19)

Après le repas, Bulle ouvrit la fenêtre pour dissiper les odeurs de cuisine. Pendant qu'on faisait la vaisselle dans son petit évier, elle prit un tabouret et s'installa sur le balcon. Les genoux à l'air, elle allongea ses longues jambes par-dessus la balustrade et alluma une cigarette.
Par moments, elle jetait un coup d’œil par-dessus bord.
- Dis, Maurice, je t'ai déjà causé de mon capitaine? Il dirige une compagnie saharienne, là-bas, en Algérie. De temps en temps, les sables me le rendent... Tu le verrais dans son uniforme, avec son pantalon bouffant plus rouge que mes ongles et sa veste qui ressemble à un ciel d'été. Des fils d'or s'entrelacent des manches au képi, elles font des rosaces plus belles que les vitraux de Saint-Eustache. Pour lui, tu penses, je dresse le couvert gratis.
Elle reprit après un long silence, le regard perdu sur les toits des immeubles :
- On a dormi ensemble cette semaine. Il est reparti aux aurores. Pour notre dernière nuit, je voulais pas que le jour retrouve son chemin jusqu'à ma chambre. Avec la plupart des clients, les nuits sont trop longues et je danserais toute nue à la fenêtre pour que le soleil se lève. Mais avec lui, la lune me négocie chaque minute. Tu as remarqué, Momo ? Les nuits, elle ont jamais la longueur qu'il faut. (pages 68-69)

On sortit tous les trois. Coco hissa Marie sur ses épaules. De nouveau, toutes les lumières du Carreau étaient allumées. Des dizaines de véhicules à cheval ou à moteur occupaient le parvis. Ils venaient de Beauce, de Picardie, et même de Bretagne. A l'intérieur du marché couvert, les sacs de légumes débordaient des charrettes. Pendant des semaines, les paysans avaient livré leurs marchandises avec parcimonie et conservé leur production dans des chambres froides. Voilà qu'ils ouvraient leurs vannes... On découvrait l'abondance de leurs récoltes, carottes, choux, courgettes, pommes de terre et haricots. La décision de dégonfler les stocks avait été prise par quelques agriculteurs au bord de la faillite. La rumeur s'était ensuite propagée et tous s'étaient mis à écouler leurs réserves. Les Forts couraient entre les stands en déplaçant des montagnes de caisses. Les commerçants s'agglutinaient devant les étals, s'égosillaient pour passer commande et brandissaient leurs billets sans même regarder la marchandise. Les Parisiens s'étaient donné le mot, ils affluaient par milliers, bien décidés à effacer de leur esprit des semaines de disette. (page 137)

Je remercie Babelio et Allary Editions pour la découverte de ce livre.



8 commentaires:

  1. Comme quoi, Dickens n'est pas le seul à parler d'enfances douloureuses ..

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    1. Un thème qui traverse malheureusement les époques tout en restant tristement d'actualité.
      Cela dit, Maurice ne se plaint jamais, il est d'une énergie à toute épreuve. Et de ce fait, malgré le contexte, il ne donne pas l'impression d'être malheureux. Il pense à sa sœur avant tout et ne s'apitoie jamais sur lui-même. La présence de Bulle est fondamentale car elle leur apportera tendresse et réconfort.

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  2. Tu donnes vraiment envie de le lire, je me le note il m'a l'air très intéressant! :)

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    1. Je trouve qu'il mérite d'être connu et il se lit vite.

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  4. Un premier roman très réussi, donc.

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    1. Je trouve. C'est une approche originale pour un destin hors du commun. Si l'auteur publie un autre roman, je le lirai.

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