lundi 7 avril 2014

Bienvenue - Kim Yi-seol

Titre original : Hwanyeong, 2011
Traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Françoise Nagel
Editions Philippe Picquier, 2012 pour la traduction française, 171 pages


Quatrième de couverture :
Yunyeong est prête à tout pour conquérir une vie meilleure : elle doit porter à bout de bras un bébé, un compagnon bon à rien, une sœur poursuivie par les créanciers, un frère accro aux jeux d'argent ainsi qu'une mère étouffante. Elle a décroché un emploi de serveuse dans un restaurant, qui se révèle être une maison de passe clandestine.
Un roman qui témoigne crûment de la brutalité des rapports sociaux et de la condition faite aux femmes en Corée - une réalité connue de tous mais soigneusement occultée. Yunyeong se débat contre la pauvreté et résiste à la violence et au mépris grâce à son insurmontable énergie qui,seule, lui permet de garder espoir.


Voilà une lecture percutante !

Yunyeong a 32 ans, un compagnon (Jeong-man), une petite fille de trois mois (Ayeong). Tous trois vivent dans un minuscule logement sur la terrasse d'un immeuble de trois étages de Séoul. 
La pièce où nous vivions était exposée à tous les vents. En hiver, elle était trop froide, en été, surchauffée. Pas vraiment l'endroit idéal pour un bébé. (p 22)

Quinze jours après avoir accouché, elle a dû reprendre le travail.

Flash back :

Yunyeong est l'aînée d'une fratrie de trois enfants. Leurs parents se sont endettés pour les élever. Les espoirs de la famille ont longtemps reposé sur Minyeong, la cadette, qui a brillamment réussi ses concours d'entrée à l'université. Pour financer ces études, la mère prend un emploi dans un restaurant,  Yunyeong travaille en usine et Minyeong poursuit ses études en pointillé tout en effectuant des petits boulots. Leur père est tombé malade. 

On lui diagnostiqua un cancer. Nous n'avions pas les moyens de le faire soigner. Il se retira dans un coin de la chambre et s'alita. Ma famille s'enfonça dans la misère.
Minyeong poursuivit sa scolarité en pointillé, menant de front ses cours et plusieurs petits  boulots et interrompant parfois carrément ses études pendant un ou plusieurs semestres pour travailler à plein temps.[...] Je faisais les trois-huit dans une usine, ma mère était employée de cuisine dans un restaurant et Junyeong* passait son temps dans les cybercafé à jouer à des jeux vidéos. En rentrant à la maison, chacun de nous se contentait de vérifier si mon père était encore en vie, de se servir une portion de riz dans l'autocuiseur et d'aller dormir. Le seul geste que nous accomplissions en pensant aux autres, c'était de remettre du riz à cuire quand il n'y en avait plus. (p34-35)
* frère de Yunyeong et de Minyeong.

Ma soeur lisait à la faible lueur d'une lampe de bureau. Pour se forcer à veiller, elle se donnait des gifles et se tirait les cheveux. Même quand elle  tombait de sommeil, elle ne s'allongeait pas sous sa couverture, elle s'endormait sur ses livres ouverts. (p 35)

Malheureusement, une fois ses études terminée, Minyeong, convaincue qu'on ne peut convenablement gagner sa vie avec un travail honnête,  investit dans des entreprises frauduleuses qui tournent mal, engloutissant  ainsi l'argent provenant de la vente de la maison familiale, puis les économies que Yunyeong réservait pour s'acheter une sandwicherie.

Leur frère est possédé par le démon du jeu.

Yunyeong s'est mise en ménage avec un homme qui passe des concours pour entrer sans la fonction publique sans jamais les réussir. C'est elle qui porte toute la famille à bout de bras.

Fin du flash back

J'avais recommencé à travailler deux semaines à peine après mon accouchement. Jeong-man, mon compagnon, n'avait même pas essayé de m'en dissuader. Nous n'avions pas le choix. Comme je n'avais pas tout à fait recouvré mes forces, je ne pouvais prendre un emploi à temps plein. J'avais distribué des prospectus à la sortie du métro, sur les pare-brise des voitures dans les parkings des centres commerciaux et dans les boîtes à lettres.[...] Toutes les deux heures, je rentrai chez moi pour allaiter ma fille. Le travail n'était pas difficile, mais la paie était minable. J'avais dû trouver autre chose. (page 7)

Mais sans qualification professionnelle, Yunyeong peine à retrouver du travail. Elle finit par être embauchée  au Jardin des Jujubiers, un restaurant tenu par Monsieur Wang, dans un village en banlieue de Séoul.
Tous les matins, elle franchit l'entrée du village et le panneau "Bienvenue !" matérialise cette frontière invisible et le début de sa journée,  tout comme le panneau "Au revoir !" en salue la fin  quand elle reprend la route pour rentrer chez elle vers minuit.
Outre Yunyeong, le personnel est composé d'une autre serveuse, Jini, et d'une cuisinière d'une cinquantaine d'années, Yun.
Les journées sont éreintantes, de 12 à 15 heures d'affilées à faire le ménage, courir entre la salle de restaurant, la cuisine et les pavillons annexes, faire le service, porter des piles de vaisselle... et le salaire est loin d'être suffisant.

Je gagnais à peine quarante mille wons par jours pour douze heures de travail. En outre, M. Wang avait décidé de retenir deux cent mille wons par mois, somme que je pourrais récupérer en partant, à condition d'avoir travaillé plus d'un an. Il m'en avait avertie en faisant passer cela pour de la générosité. [...]
Avant d'être embauchée par M.Wang,j'avais été refusée par plusieurs employeurs. L'usine où je travaillais avant la naissance de ma fille avait réduit ses effectifs et ne m'avait pas proposé de poste à mon retour.[...] Le temps passait. Je ne pouvais rester plus longtemps sans emploi sous peine de voir ma famille mourir de faim. Je m'étais présentée dans des restaurants, mais aucun n'avait voulu m'engager, même comme simple commis de cuisine. Raison invoquée : je n'avais pas d'expérience. Aussi m'étais-je répandue en courbettes devant M.Wang pour le remercier de m'avoir acceptée. (p 21)

Yun, elle, enchaîne deux emplois pour pouvoir subvenir à l'entretien de sa famille :

[...] Yun sortit de la cuisine. Elle allait passer chez elle pour préparer le dîner de sa famille avant de repartir travailler dans un autre restaurant, un de ceux qui servent vingt-quatre heures sur vingt-quatre des soupes chaudes à des hommes souffrant de la gueule de bois.[...]
Le mari de Yun, qui dirigeait une fabrique de canapé avant la crise, était maintenant manœuvre à la journée. La moitié de l'année, il ne trouvait pas de travail. Ses deux fils étaient étudiants et gagnaient à peine leur argent de poche grâce à de petits boulots. Yun ne se reposait jamais. Elle avait quatre bouches à nourrir avec son maigre salaire. (p38-39)

Yunyeong découvre bientôt que le restaurant abrite des activités clandestines dans ses pavillons et que son patron a des projets assez particuliers pour son avenir professionnel.

[...] je n'étais pas au bout de mes surprises. Parfois, un ou deux hommes allaient s'installer dans un pavillon, et, peu après, Jini les rejoignait discrètement. La plupart étaient des clients fidèles qui connaissaient bien les activités annexes du restaurant. [...] Le jour où je découvris le pot aux roses, elle me demanda, tout en retouchant son maquillage : 
- Tu ne savais pas qu'on faisait ça, ici ?
Elle avait l'air encore plus étonnée que moi.
- Tu es bien naïve. Ou alors tu es stupide. (p 18-19)


Harcelée par son frère qui ne cesse de jouer et par les créanciers de sa  sœur qui est tombée dans l'engrenage du surendettement, avec un mari qui s'est réfugié avec le bébé chez sa mère et refuse obstinément d'en partir sous prétexte que la petite pleure quand il s'éloigne, Yunyeong ne voit plus d'autre solution que de se prostituer à son tour.

C'est un roman très dur et très dure est la vie des femmes, que ce soit celle de la narratrice, de Jini, de la cuisinière ou bien  qu'il s'agisse du destin tragique de Mynyeong. Pourtant l'auteure, par la voix de Yunyeong, ne sombre jamais dans le misérabilisme. Le style est cru, les phrases assez courtes s'enchaînent sur un rythme rapide, à l'image des journées de Yunyeong qui est animée d'une énergie et d'un courage indomptables.

Il y a beaucoup de choses révoltantes dans ce livre et pas de place pour la pitié. Les passages où le père de Yunyeong, puis de mari de Jini, se trouvent tous deux atteints d'un cancer sont à la limite du soutenable et font froid dans le dos. Terrible aussi de voir que la petite Aeyong est atteinte d'un problème locomoteur - dont les parents ne semblent pas conscients au départ - et que l'argent manque pour la soigner.

Scandaleuse est l'attitude des deux grand-mères pour lesquelles les fils ont tout les droits et qui cèdent à tout.
Bien que ce roman soit très sombre, je trouve qu'il se lit bien, je ne pouvais m'empêcher de tourner les pages en espérant que Yunyeong arrive enfin à s'en sortir. La fin a été comme un coup de poing dans le ventre tant elle m'a surprise et révoltée.

Une lecture dure mais édifiante. Intéressante, en outre, à propos du fonctionnement de la société coréenne ( logement, les clauses abusives des contrats de travail comme celui de Yunyeong qui doit travailler un an sous peine de perdre une partie de son salaire, etc)






Kim Yi-seol est née à Yesan, en Corée du Sud,en 1975. Bienvenue est sa troisième publication.






Lu dans le cadre des challenges Printemps Coréen chez Coccinelle et La plume au féminin chez Opaline.



10 commentaires:

  1. Ce livre me dit quelque chose, je crois que la bibliothèque de mon école l'a acheté récemment! Il a l'air dur à lire, même si ça a l'air prenant comme histoire!!

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    1. Yunyeong ne se plaint jamais et déborde d'énergie, c'est ce qui fait que j'ai accroché mais la réalité dépeinte ici est bien sombre.

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  2. Cela se passe de nos jours? Cela a l'air dur!

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    1. Oui, cela se passe de nos jours : le mari de Yun, la cuisinière, a perdu son emploi lors de la crise de 1997. Jusqu'ici, à part les albums et "Les romans meurtriers" qui était un roman policier, je trouve les romans coréens que j'ai lus plutôt sombres.

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  3. Je ne connais pas du tout la littérature coréenne mais je note ce titre bien que le sujet soit très sombre. c'est un roman ou certains éléments s'appuient sur la vie d'une personne en particulier ?

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    1. Il n'est pas précisé que l'auteure se soit inspirée d'une personne en particulier mais je pense que cette histoire révèle une des facettes de la Corée.

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  4. Une société coréenne que l'on connait peu, finalement.

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    1. Oui. La littérature coréenne n'est pas encore très répandue chez nous. Plusieurs livres que j'ai présentés ici, dont celui-ci, l'ont été avec le soutien de l'Institut coréen de la traduction littéraire, qui aide à promouvoir la littérature coréenne à l'étranger.

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  5. Lin noté, merci ! (Et désolée pour le retard, en ce moment je suis... surbookée !).

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