Traduit de l'anglais par Eric Chédaille
Christian Bourgeois Editeur, 10/18, 2013 pour la traduction française, 399 pages
Quatrième de couverture :
1844, Isabella Walker épouse l'ingénieur Henry Robinson. 1850, elle s'éprend d'Edward Lane, jeune et brillant médecin, et relate cette passion fantasmée dans son journal intime. 1855, Henry dérobe ces écrits et l'accule au divorce, faisant de cette femme l'héroïne bafouée d'un procès scandaleux, qui excite les préjugés d'une société victorienne régie par les hommes. Un tableau saisissant de l'intenable condition féminine dans l'Angleterre corsetée du XIXème siècle.
La déchéance de Mrs Robinson se présente en deux parties :
- La première partie se déroule de 1850 à 1858 (l'auteure remonte même brièvement jusqu'en 1840 pour présenter la famille d'Edward Lane) et retrace la vie de Mrs Robinson depuis l'installation du couple en Ecosse jusqu'au jour où son mari, l'entendant prononcer le nom d'un homme alors qu' elle délire, fait main basse sur son journal intime et sa correspondance. (Note : cet homme a lui-même une maîtresse et deux enfants illégitimes)
Cette partie permet de situer le procès dans son contexte.
- La deuxième partie concerne le procès proprement dit et ses suites.
Ces deux parties sont complétées par des arbres généalogiques permettant de situer les protagonistes et d'abondantes notes en fin d'ouvrage.
La déchéance de Mrs Robinson n'est pas un roman, ni un ouvrage de fiction. Il est basé sur un fait réel, que Kate Summerscale nous rapporte avec style assez sobre.
En 1850, Isabella Robinson, son mari et leurs enfants habitent Edimbourg. Elle a 37 ans. Pour elle il s'agit d'un second mariage, contracté sans grand enthousiasme, un peu sous la pression de ses amis. Son premier mariage l'a laissée veuve avec un enfant, et sans ressources financières.
Le second mari d'Isabella est ingénieur, il est incroyablement cupide et ses affaires l'éloignent souvent de son foyer. C'est un couple sans tendresse, la vie conjugale d' Isabella s'apparente à un grand vide affectif, sexuel et intellectuel.
Elle se lie avec une de ses voisines, Lady Drysdale, une veuve fortunée autour de laquelle gravite un cercle intellectuel très actif.
Ses soirées attiraient des personnalités inventives et progressistes : des romanciers tels que Charles Dickens, qui s'était rendu à l'une d'elle en 1841 ; des médecins comme l'obstétricien et pionnier de l'anesthésie James Young Simpson ; des éditeurs comme Robert Chambers, fondateur du Chamber's Edinburgh Journal ; ainsi que quantité d'artistes, d'essayistes, de naturalistes, d'archéologues et de comédiennes. (p17/18)
Dans les hautes et spacieuses pièces de réception du premier étage, Isabella fut présentée à Lady Drysdale et au jeune couple avec lequel celle-ci partageait sa maison : sa fille Mary et son gendre Eward Lane. Natif du Canada, Mr Lane, juriste, avait fait son droit à Edimbourg ; aujourd'hui âgé de vingt-sept ans, il suivait des études de médecines. Isabella fut enchantée par le personnage. Il était "beau garçon, plein d'entrain, jovial", confia-t-elle à son journal ; il s'avérait "très intéressant". Par la suite, elle se reprocherait, comme souvent dans le passé, d'être si sensible au charme masculin. Mais une aspiration s'était emparée d'elle, dont elle aurait du mal à se défaire. (p19)
Edward Lane ouvrira par la suite un établissement spécialisé dans l'hydrothérapie en Angleterre.
Isabella se confie régulièrement à son journal, qui est pour elle d'autant plus important qu'elle se sent esseulée. Elle y mentionne son affection, mais aussi son désir pour Edward Lane, ainsi que, dans une moindre mesure, pour les deux précepteurs de ses enfants.
Dans son journal, Isabella fait parfois preuve d'un style un peu exalté , elle y consigne également ses rêves et l'impression qu'ils lui ont laissé. Je l'ai trouvée parfois un peu crédule ou prenant ses désirs pour des réalités, mais à sa décharge elle était sans doute rendue vulnérable par la solitude affective et toutes les frustrations qu'elle subissait.
Ce n'était certes pas une personne portée à la complaisance envers elle-même :
...assise sur la grève, [elle] se prit à méditer ses nombreuses imperfections. Anglaise de bonne famille, âgée de trente-sept ans, elle avait déjà, de son propre aveu, échoué dans chacun des rôles auxquels une femme de son époque était censée satisfaire. Elle dressa dans son journal la liste de ses manquements : "mes erreurs de jeunesse, mes provocations l'encontre de mes frères et sœurs, mon entêtement face à ma gouvernante, mon insoumission et mon peu de déférence à l'endroit de mes parents, mon absence de principe conducteur dans la vie, la nature de mon mariage et ma conduite au sein de ce mariage, mon attitude partiale et souvent brutale envers mes enfants, mon comportement étourdi pendant mon veuvage, mon second mariage et tout ce qui s'en est ensuivi." Elle s'était rendue coupable, jugeait-elle, d' "impatience face aux épreuves, d'affections erratiques, d'absence d'abnégation et d'application à bien agir, ceci en tant que mère, fille, sœur, épouse, élève, amie, maîtresse de maison." (p19/20)
Une énumération exhaustive et fastidieuse, mais qui montre de façon éclatante autant que glaçante le carcan de conventions qui pèse sur la femme victorienne.
Je savais déjà - suite à la lecture de romans et d'articles sur l'époque victorienne - que le mari et la femme ne représentaient alors qu'une seule entité morale et que tous les biens de la femme, y compris ses effets personnels et les biens lui venant de sa famille devenaient la propriété de son mari. Ce dernier pouvait les conserver même en cas de divorce : en Angleterre, il faudra attendre 1884 pour que les femmes obtiennent enfin des droits sur leurs propriétés personnelles.
Aussi, dans la première partie de l'ouvrage, ce n'est pas sur le droit des femmes à l'époque victorienne et leur condition matérielle que j'en ai le plus appris. Par contre c'est bien documenté sur les avancées médicales et scientifiques de l'époque, notamment la phrénologie (ça prend d'ailleurs parfois un peu des allures de traité de médecine alternative et je ne suis pas certaine que le détail des flatulences de tel ou tel homme célèbre soit d'un intérêt capital pour l'Histoire -_-. Par ailleurs s'il y avait un conflit entre son corps et son esprit, il y avait peut être aussi un conflit entre son système digestif et les repas gargantuesques qu'on avalait à l'époque)
Bon, j'arrête de faire ma mauvaise langue ;-)
On y côtoie des personnalités éminentes comme Charles Darwin qui publiera De l'origine des espèces en 1859, Charles Dickens, Robert Chambers, et évidemment Edward Lane . Ce dernier fait figure de pionnier en affirmant que le psychisme et le corps sont étroitement liés, et que l'un agit sur l'autre et inversement et on constate que le stress sévissait déjà (pour d'autres raisons que maintenant, notamment la révolution de l'environnement, comme le montre Charles Dickens dans Un quartier perturbé, un des récits de Londres, la nuit).
Mais la différence de cette oeuvre, par rapport à ce que j'ai lu jusqu'ici, est en mettre en avant, au travers de l'histoire réelle d'Isabella Robinson, la violence faite au corps des femmes et par là-même, la violence psychologique qui en résulte. Je ne parle pas ici de corset, mais de l'interdiction pure et simple du droit de la femme à disposer, même en pensée, de son propre corps, à éprouver des émotions et à fantasmer, une interdiction à toute forme de sexualité autre que dans le but de la procréation.
La femme est en quelque sorte désincarnée : son corps, perçu comme une âme pure et innocente, ne doit pas être "souillé", que cela soit par des artifices tels que le maquillage ou les plaisirs de la chair. (source Wikipédia)
Les hommes eux aussi étaient concernés par la rigidité des mœurs : l'homosexualité était considérée comme une déviance, la masturbation, idem, et dangereuse ( en fait, à part la position du missionnaire, on se demande ce qui n'était pas "déviant" -_- )
Mais entre ce qui était tolérés pour les hommes et pour les femmes, il y avait, évidemment, un gouffre:
La nouvelle législation en la matière [1858] stipulait que, pour obtenir le divorce, un mari devait se borner à établir l'infidélité de son épouse, alors qu'une femme devait prouver que son conjoint était non seulement infidèle mais également coupable d'abandon du domicile conjugal, de cruauté, de bigamie, d'inceste, de viol, de sodomie ou de bestialité. Ces deux poids, deux mesures se fondaient sur le danger que représentait la femme adultère. Parce qu'elle prenait le risque de porter l'enfant d'un autre, l'épouse infidèle menaçait les certitudes en matière de paternité, de lien de parenté, de succession, fondements de la société bourgeoise. L'archétype anglais de la femme adultère était la reine Guenièvre, créature dont l'infidélité causa la chute du royaume de son époux. (p 163)
Le divorce des Robinson a été un des premiers à être jugé par une cour laïque (la demande d'Heny Robinson fut la 11ème déposée depuis l' ouverture de cette cour début 1858). Les audiences étaient alors encore ouvertes au public, ce qui ne fut plus le cas par la suite.
Le récit de Kate Summerscale rapporte des inexactitudes quant à la présentation des faits par Henry à la Cour.
Notons de plus que : Lui aussi [un des magistrats] célibataire, il avait toutefois eu deux enfants (alors âgés de douze et dix-neuf ans) d'une femme non mariée, ce qui n'était pas un secret pour ses pairs. (p150)
et
Henry ressortait du journal comme "le couronnement de la méchanceté, de la mesquinerie, de la malhonnêteté et de la cruauté humaine"; son comportement avait laissé Isabella "désireuse d'échapper, presque à tout prix, à une union qui lui avait rendu la vie quasi intolérable." Et pourtant ce mari odieux, connu pour avoir une maîtresse et des enfants illégitimes, était parfaitement innocent aux yeux de la loi. (p 177)
De nos jours, dans le journal d'Isabella, on ne verrait pas de quoi fouetter un chat et un avocat démontrerait aussitôt qu'il pourrait s'apparenter à de la fiction.
Mais sous l'époque victorienne, il était proprement scandaleux qu'une femme puisse affirmer ses désirs sexuels d'une façon aussi "crue" et c'était surtout cela que la "bonne société" n'était pas prête à admettre.
Une autre affaire est d'ailleurs évoquée, le procès de Miss Smith qui s'est déroulé à la même période...
Miss Smith paraissait se féliciter de sa transgression sexuelle, note le juge[...] Si sa conduite était choquante, bien pis le plaisir qu'elle prenait à l'évoquer. (p171)
Il est également fait mention du roman de Flaubert, Madame Bovary (1857) qui fut violemment critiqué et interdit en Angleterre, l'héroïne incarnant sans doute le summum de la dépravation ; mais le journal d'Isabella Robinson démontrait qu'une anglaise de la classe moyenne était capable d'attenter à la décence avec sa plume. (p 156)
Dans l'Angleteterre victorienne, la femme qu'est Isabella détonne à plus d'un titre. En effet, elle n'est pas croyante. Son comportement, ses idées, menacent les fondations de l'Empire.
Mais son mari, lui, obéit à des motifs plus pragmatiques : il est ivre de rage et de vengeance, et entrevoit la possibilité avec un divorce de faire main basse sur les biens de sa femme tout en déclenchant un scandale qui conduirait Edward Lane à la ruine.
La Cour va devoir établir si le contenu du journal d 'Isabella est véridique ou non, et si Isabella ne souffre pas d'une maladie faisant d'elle une maniaque sexuelle...
Dans les faits, toute femme éprouvant une puissante attirance pour un autre homme que son époux pouvait se voir qualifier de maniaque sexuelle. (p 210)
J'ai trouvé un peu longs également les passages relatifs à la gynécologie - science toute nouvelle - et les maladies mentales qui étaient supposées découler des maladies utérines.
L'attitude du Dr Lane pour sauvegarder sa réputation n'est guère glorieuse, tout comme celle des amis d'Isabella... mais cela n'est pas spécifique à l'époque victorienne.
J'ai préféré la seconde partie à la première, j'y ai appris davantage de choses.
Mises à part mes petites remarques, ce fut lecture fort intéressante à l'initiative de Fanny pour le Challenge XIXème siècle en association avec le mois anglais chez Chryssilda, Titine et Lou.
Les avis d'Adalana, Malice, Titine , Miss Elody, Coquelicote, ...
La déchéance de Mrs Robinson se présente en deux parties :
- La première partie se déroule de 1850 à 1858 (l'auteure remonte même brièvement jusqu'en 1840 pour présenter la famille d'Edward Lane) et retrace la vie de Mrs Robinson depuis l'installation du couple en Ecosse jusqu'au jour où son mari, l'entendant prononcer le nom d'un homme alors qu' elle délire, fait main basse sur son journal intime et sa correspondance. (Note : cet homme a lui-même une maîtresse et deux enfants illégitimes)
Cette partie permet de situer le procès dans son contexte.
- La deuxième partie concerne le procès proprement dit et ses suites.
Ces deux parties sont complétées par des arbres généalogiques permettant de situer les protagonistes et d'abondantes notes en fin d'ouvrage.
La déchéance de Mrs Robinson n'est pas un roman, ni un ouvrage de fiction. Il est basé sur un fait réel, que Kate Summerscale nous rapporte avec style assez sobre.
En 1850, Isabella Robinson, son mari et leurs enfants habitent Edimbourg. Elle a 37 ans. Pour elle il s'agit d'un second mariage, contracté sans grand enthousiasme, un peu sous la pression de ses amis. Son premier mariage l'a laissée veuve avec un enfant, et sans ressources financières.
Le second mari d'Isabella est ingénieur, il est incroyablement cupide et ses affaires l'éloignent souvent de son foyer. C'est un couple sans tendresse, la vie conjugale d' Isabella s'apparente à un grand vide affectif, sexuel et intellectuel.
Elle se lie avec une de ses voisines, Lady Drysdale, une veuve fortunée autour de laquelle gravite un cercle intellectuel très actif.
Ses soirées attiraient des personnalités inventives et progressistes : des romanciers tels que Charles Dickens, qui s'était rendu à l'une d'elle en 1841 ; des médecins comme l'obstétricien et pionnier de l'anesthésie James Young Simpson ; des éditeurs comme Robert Chambers, fondateur du Chamber's Edinburgh Journal ; ainsi que quantité d'artistes, d'essayistes, de naturalistes, d'archéologues et de comédiennes. (p17/18)
Dans les hautes et spacieuses pièces de réception du premier étage, Isabella fut présentée à Lady Drysdale et au jeune couple avec lequel celle-ci partageait sa maison : sa fille Mary et son gendre Eward Lane. Natif du Canada, Mr Lane, juriste, avait fait son droit à Edimbourg ; aujourd'hui âgé de vingt-sept ans, il suivait des études de médecines. Isabella fut enchantée par le personnage. Il était "beau garçon, plein d'entrain, jovial", confia-t-elle à son journal ; il s'avérait "très intéressant". Par la suite, elle se reprocherait, comme souvent dans le passé, d'être si sensible au charme masculin. Mais une aspiration s'était emparée d'elle, dont elle aurait du mal à se défaire. (p19)
Edward Lane ouvrira par la suite un établissement spécialisé dans l'hydrothérapie en Angleterre.
Isabella se confie régulièrement à son journal, qui est pour elle d'autant plus important qu'elle se sent esseulée. Elle y mentionne son affection, mais aussi son désir pour Edward Lane, ainsi que, dans une moindre mesure, pour les deux précepteurs de ses enfants.
Dans son journal, Isabella fait parfois preuve d'un style un peu exalté , elle y consigne également ses rêves et l'impression qu'ils lui ont laissé. Je l'ai trouvée parfois un peu crédule ou prenant ses désirs pour des réalités, mais à sa décharge elle était sans doute rendue vulnérable par la solitude affective et toutes les frustrations qu'elle subissait.
Ce n'était certes pas une personne portée à la complaisance envers elle-même :
...assise sur la grève, [elle] se prit à méditer ses nombreuses imperfections. Anglaise de bonne famille, âgée de trente-sept ans, elle avait déjà, de son propre aveu, échoué dans chacun des rôles auxquels une femme de son époque était censée satisfaire. Elle dressa dans son journal la liste de ses manquements : "mes erreurs de jeunesse, mes provocations l'encontre de mes frères et sœurs, mon entêtement face à ma gouvernante, mon insoumission et mon peu de déférence à l'endroit de mes parents, mon absence de principe conducteur dans la vie, la nature de mon mariage et ma conduite au sein de ce mariage, mon attitude partiale et souvent brutale envers mes enfants, mon comportement étourdi pendant mon veuvage, mon second mariage et tout ce qui s'en est ensuivi." Elle s'était rendue coupable, jugeait-elle, d' "impatience face aux épreuves, d'affections erratiques, d'absence d'abnégation et d'application à bien agir, ceci en tant que mère, fille, sœur, épouse, élève, amie, maîtresse de maison." (p19/20)
Une énumération exhaustive et fastidieuse, mais qui montre de façon éclatante autant que glaçante le carcan de conventions qui pèse sur la femme victorienne.
Je savais déjà - suite à la lecture de romans et d'articles sur l'époque victorienne - que le mari et la femme ne représentaient alors qu'une seule entité morale et que tous les biens de la femme, y compris ses effets personnels et les biens lui venant de sa famille devenaient la propriété de son mari. Ce dernier pouvait les conserver même en cas de divorce : en Angleterre, il faudra attendre 1884 pour que les femmes obtiennent enfin des droits sur leurs propriétés personnelles.
Aussi, dans la première partie de l'ouvrage, ce n'est pas sur le droit des femmes à l'époque victorienne et leur condition matérielle que j'en ai le plus appris. Par contre c'est bien documenté sur les avancées médicales et scientifiques de l'époque, notamment la phrénologie (ça prend d'ailleurs parfois un peu des allures de traité de médecine alternative et je ne suis pas certaine que le détail des flatulences de tel ou tel homme célèbre soit d'un intérêt capital pour l'Histoire -_-. Par ailleurs s'il y avait un conflit entre son corps et son esprit, il y avait peut être aussi un conflit entre son système digestif et les repas gargantuesques qu'on avalait à l'époque)
Bon, j'arrête de faire ma mauvaise langue ;-)
On y côtoie des personnalités éminentes comme Charles Darwin qui publiera De l'origine des espèces en 1859, Charles Dickens, Robert Chambers, et évidemment Edward Lane . Ce dernier fait figure de pionnier en affirmant que le psychisme et le corps sont étroitement liés, et que l'un agit sur l'autre et inversement et on constate que le stress sévissait déjà (pour d'autres raisons que maintenant, notamment la révolution de l'environnement, comme le montre Charles Dickens dans Un quartier perturbé, un des récits de Londres, la nuit).
Mais la différence de cette oeuvre, par rapport à ce que j'ai lu jusqu'ici, est en mettre en avant, au travers de l'histoire réelle d'Isabella Robinson, la violence faite au corps des femmes et par là-même, la violence psychologique qui en résulte. Je ne parle pas ici de corset, mais de l'interdiction pure et simple du droit de la femme à disposer, même en pensée, de son propre corps, à éprouver des émotions et à fantasmer, une interdiction à toute forme de sexualité autre que dans le but de la procréation.
La femme est en quelque sorte désincarnée : son corps, perçu comme une âme pure et innocente, ne doit pas être "souillé", que cela soit par des artifices tels que le maquillage ou les plaisirs de la chair. (source Wikipédia)
Les hommes eux aussi étaient concernés par la rigidité des mœurs : l'homosexualité était considérée comme une déviance, la masturbation, idem, et dangereuse ( en fait, à part la position du missionnaire, on se demande ce qui n'était pas "déviant" -_- )
Mais entre ce qui était tolérés pour les hommes et pour les femmes, il y avait, évidemment, un gouffre:
La nouvelle législation en la matière [1858] stipulait que, pour obtenir le divorce, un mari devait se borner à établir l'infidélité de son épouse, alors qu'une femme devait prouver que son conjoint était non seulement infidèle mais également coupable d'abandon du domicile conjugal, de cruauté, de bigamie, d'inceste, de viol, de sodomie ou de bestialité. Ces deux poids, deux mesures se fondaient sur le danger que représentait la femme adultère. Parce qu'elle prenait le risque de porter l'enfant d'un autre, l'épouse infidèle menaçait les certitudes en matière de paternité, de lien de parenté, de succession, fondements de la société bourgeoise. L'archétype anglais de la femme adultère était la reine Guenièvre, créature dont l'infidélité causa la chute du royaume de son époux. (p 163)
Le divorce des Robinson a été un des premiers à être jugé par une cour laïque (la demande d'Heny Robinson fut la 11ème déposée depuis l' ouverture de cette cour début 1858). Les audiences étaient alors encore ouvertes au public, ce qui ne fut plus le cas par la suite.
Le récit de Kate Summerscale rapporte des inexactitudes quant à la présentation des faits par Henry à la Cour.
Notons de plus que : Lui aussi [un des magistrats] célibataire, il avait toutefois eu deux enfants (alors âgés de douze et dix-neuf ans) d'une femme non mariée, ce qui n'était pas un secret pour ses pairs. (p150)
et
Henry ressortait du journal comme "le couronnement de la méchanceté, de la mesquinerie, de la malhonnêteté et de la cruauté humaine"; son comportement avait laissé Isabella "désireuse d'échapper, presque à tout prix, à une union qui lui avait rendu la vie quasi intolérable." Et pourtant ce mari odieux, connu pour avoir une maîtresse et des enfants illégitimes, était parfaitement innocent aux yeux de la loi. (p 177)
De nos jours, dans le journal d'Isabella, on ne verrait pas de quoi fouetter un chat et un avocat démontrerait aussitôt qu'il pourrait s'apparenter à de la fiction.
Mais sous l'époque victorienne, il était proprement scandaleux qu'une femme puisse affirmer ses désirs sexuels d'une façon aussi "crue" et c'était surtout cela que la "bonne société" n'était pas prête à admettre.
Une autre affaire est d'ailleurs évoquée, le procès de Miss Smith qui s'est déroulé à la même période...
Miss Smith paraissait se féliciter de sa transgression sexuelle, note le juge[...] Si sa conduite était choquante, bien pis le plaisir qu'elle prenait à l'évoquer. (p171)
Il est également fait mention du roman de Flaubert, Madame Bovary (1857) qui fut violemment critiqué et interdit en Angleterre, l'héroïne incarnant sans doute le summum de la dépravation ; mais le journal d'Isabella Robinson démontrait qu'une anglaise de la classe moyenne était capable d'attenter à la décence avec sa plume. (p 156)
Dans l'Angleteterre victorienne, la femme qu'est Isabella détonne à plus d'un titre. En effet, elle n'est pas croyante. Son comportement, ses idées, menacent les fondations de l'Empire.
Mais son mari, lui, obéit à des motifs plus pragmatiques : il est ivre de rage et de vengeance, et entrevoit la possibilité avec un divorce de faire main basse sur les biens de sa femme tout en déclenchant un scandale qui conduirait Edward Lane à la ruine.
La Cour va devoir établir si le contenu du journal d 'Isabella est véridique ou non, et si Isabella ne souffre pas d'une maladie faisant d'elle une maniaque sexuelle...
Dans les faits, toute femme éprouvant une puissante attirance pour un autre homme que son époux pouvait se voir qualifier de maniaque sexuelle. (p 210)
J'ai trouvé un peu longs également les passages relatifs à la gynécologie - science toute nouvelle - et les maladies mentales qui étaient supposées découler des maladies utérines.
L'attitude du Dr Lane pour sauvegarder sa réputation n'est guère glorieuse, tout comme celle des amis d'Isabella... mais cela n'est pas spécifique à l'époque victorienne.
J'ai préféré la seconde partie à la première, j'y ai appris davantage de choses.
Mises à part mes petites remarques, ce fut lecture fort intéressante à l'initiative de Fanny pour le Challenge XIXème siècle en association avec le mois anglais chez Chryssilda, Titine et Lou.
Les avis d'Adalana, Malice, Titine , Miss Elody, Coquelicote, ...
La plume au féminin chez Opaline
Challenge Victorien chez Arieste
ton billet donne très envie de lire ce livre. C'est le genre de lectures, passionnantes, qui donnent envie de taper sur quelqu'un par contre... c'est vrai que le 19ème siècle (et un peu le début du 20ème) était particulièrement cruel pour les femmes, qui étaient légalement considérées comme des mineurs.
RépondreSupprimerPas lu, ni le premier (je ferais sans doute mieux de commencer par l'autre, non?)
RépondreSupprimerRien que de lire ta chronique , ça m'énerve ! Je veux dire que moi à cette époque , j'aurais sûrement craqué d' être soumise à un tel régime; c'est tellement injuste , choquant .. C'est là qu'on est heureux de vivre de nos jours et en Europe .. Je suis partagée entre l'envie de lire le livre et la colère que ça va sûrement provoquer chez moi ! :o)
RépondreSupprimerBises et à bientôt !
Ouh, ça donne très envie, c'est un sujet qui a l'air plutôt intéressant, moi qui me suis toujours intéressée à la condition des femmes. Je vais me le noter dans un coin ! :)
RépondreSupprimerhihi j'aime bien ton point de vue sur le système digestif ! j'ai déjà noté ce livre dans ma liste d'envies, merci pour ton article documenté ;)
RépondreSupprimerJe suis entièrement d'accord avec toi, la première partie comporte des passages sans grand intérêt pour le propos. Je m'y suis un peu perdue et j'ai largement préféré la partie sur le procès.
RépondreSupprimerAprès L'affaire de Road hill house, j'ai prévu aussi de lire celui-ci.
RépondreSupprimerJe pense que ça pourrait me plaire, mais cette histoire a beaucoup m'énerver et si j'écoute mes enfants je le suis suffisamment (je le garde dans un coin de la tête, tout de même). Chapeau pour ton billet, j'ai appris pas mal de trucs.
RépondreSupprimerJe ne suis guère tentée par ce roman, ouf !!! :-) ma pal respire un peu ! bon début de semaine !
RépondreSupprimerJe suis tentée par cette étude des moeurs du siècle dernier (pardon, celui d'avant, même !)
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