jeudi 19 juin 2014

Prends soin de maman - Shin Kyung-sook

Titre original : Ommarul Putakhe (2008)
Traduit du coréen par Jeong Eun-Jin et Jacques Batilliot
Publié par Oh!Editions, 2010 pour la traduction française, 254 pages

Quatrième de couverture :
Maman s'est perdue dans les rues de Séoul. Plus aucune trace à partir du quai du métro où la foule l'a avalée. C'est qu'elle ne connaît pas cette grande ville, ou si peu... Et qu'elle ne sait pas lire. Toute sa vie, elle l'a consacrée à sa famille. Son mari, ses enfants la cherchent sans répit, dans la ville comme dans leur mémoire.
Les culpabilités s'exacerbent, le cocon familial se déchire.
Et toujours cette question lancinante : où est maman ? Qui est maman ?

Sonyŏ, 69 ans , a disparu à  la gare de Séoul. Repoussée par la foule, elle n'a pas réussi à monter dans la rame de métro à la suite de son mari. Il faut dire que celui-ci marchait, comme d'habitude, devant elle sans l'attendre. C'est lui qui a les bagages et elle n'a aucun papier sur elle. Sonyŏ ne connait pas Séoul, elle et son mari habitent la campagne et ils étaient venus rendre visite à leurs enfants établis dans la capitale (ils ont quatre enfants, deux fils et deux filles)
Sonyŏ ne sait pas lire, et, suite à un AVC, elle est désorientée et souffre d'une certaine confusion mentale.

Sa famille se lance à sa recherche.
Une femme lui ressemblant a été aperçue en différents endroits de la ville - des quartiers où vivaient les enfants quand ils sont arrivés à Séoul trente ans auparavant. Mais chaque témoin mentionne que la femme en question portait des sandales bleues et était blessée au pied. Or, Sonyŏ, qui lors de sa disparition portait des chaussures blanches, a bien eu de telles sandales et une blessure au pied, mais, chose curieuse,  cela remonte également  trente ans...

Présenté en 4 chapitres et un épilogue, le récit laisse tour à tour la parole à la fille aîné, au fils aîné, au mari et enfin à Sonyŏ elle-même. La fille aîné reprend la parole pour l'épilogue.
Chacun pense à la disparue. Les souvenirs remontent, mais aussi les remords et la culpabilité. Peu à peu, le portrait de cette femme  se dessine...

Ce roman est un best-seller qui a été traduit en 19 langues et Shin Kyung-sook, née en 1963 en Corée,  est une auteure phare de sa génération. Elle a déjà publié une dizaine de romans et des nouvelles et a reçu pas moins d'une douzaine de récompenses littéraires.

Si, dans l'ensemble, j'ai bien aimé Prends soin de maman, j'ai quand même quelques petites réserves.

Au niveau du style, la partie concernant la fille aîné et le mari ainsi que l'épilogue sont racontés à la 2ème personne (tu), celle concernant le fils est racontée à la 3ème personne (il) et enfin celle narrée par Sonyŏ à la première personne (je). Certes, je m'y suis retrouvée quand même mais j'aurais trouvé plus simple de tout lire à la 2ème personne, sauf peut-être la partie réservée à Sonyŏ.
C'est cependant une réserve plutôt mineure.

Ma principale réserve vient du fait que j'ai trouvé à plusieurs reprises un côté excessif au roman.

J'ai bien aimé cette façon de faire intervenir tour à tour différents membres de la famille qui dévoilent chacun des facettes de la personnalité de Sonyŏ... et qui réalisent qu'ils se sont peu à peu éloignés d'elle et que finalement ils ne la connaissaient pas si bien que cela. Ne parlons pas du mari qui a passé la majeure partie de sa vie à s'éloigner pour vivre d'autres vies avec d'autres femmes et qui regagnait de temps en temps le bercail pour trouver une épouse (et parfois un enfant né entre temps) toujours prête à prendre soin de lui sans jamais avoir envers elle un mot ni un geste de gratitude ou de sympathie.
La vie de Sonyŏ est une vie toute entière dévouée à sa famille, mais elle ne se plaint jamais et elle est à ce point différente de son mari que j'ai eu parfois l'impression de voir une sainte se sacrifiant plutôt qu'une mère ou une épouse. Mais c'est à replacer dans le contexte de l'époque (j'en reparle quand je mentionne l'épilogue, à la fin du billet)

Nous apprenons que ce mariage était en fait un mariage arrangé, pour protéger la jeune Sonyŏ des soldats, un type de mariage qui semble avoir été assez courant à l'époque (Sonyŏ est née en 1936) :
Votre mariage avait été célébré alors que vous ne vous connaissiez pas. C'était juste après la guerre. Un armistice avait été signé en juillet 1953 entre le commandant en chef des forces alliées et son homologue de l'armée communiste, mais l'époque était encore plus troublée que pendant le conflit. La nuit, des soldats du Nord, affamés, descendaient pour fouiller le village. Les gens qui avaient des filles pubères s'empressaient de les cacher, car la rumeur courait partout qu'ils enlevaient les jeunes filles. Certains les dissimulaient dans un trou qu'ils avaient creusé près de la voie ferrée. D'autres se regroupaient dans une maison pour veiller la nuit durant. D'autres encore les mariaient dans la précipitation. Ta femme était née dans un village appelée Chinmoe, où elle avait toujours vécu jusqu'alors. Tu avais vingt ans quand ta sœur t'avait annoncé que tu allais épouser une fille de Chinmoe. Elle disait que vos dates et heures de naissance respectives présageaient une belle harmonie. Son village était encore plus isolé que le tien, dont il était distant d'une dizaine de lieues. A l'époque, les gens se mariaient sans s'être préalablement rencontrés. Ta sœur t'avait dit que la cérémonie aurait lieu dans la cour du domicile de ta promise en octobre, après la récolte du riz.   (p142)


De même, pour évoquer un autre trait excessif,  Sonyŏ est plusieurs fois confrontée à la maladie au cours du roman et si la désinvolture de son entourage semble dépasser l'entendement, j'ai trouvé sa guérison d'un cancer du sein sans autre traitement qu'une intervention chirurgicale peu crédible.

En revanche j'ai adoré la description de la vie dans la Corée rurale que l'auteure nous fait au travers de la vie de Sonyŏ. Une femme pudique et pleine de ressources, qui ne sait pas lire mais dont la fille aînée est romancière et qui a trouvé le moyen de se faire lire ses romans - car chez elle bien sûr personne n'a pensé que cela pouvait l'intéresser.
Une femme qui pousse ses enfants à aller habiter à Séoul car elle veut pour eux une autre existence que la sienne, sans pour autant se plaindre de sa vie.
Beaucoup de choses sont bien vues : la culpabilité, les remords - exacerbés par le fait que cette femme ait disparu, ce qui fait que sa famille ne sait pas ce qui lui est réellement arrivé - le frère aîné qui essaie malgré tout de reprendre une vie normale et sa sœur qui lui reproche ce qu'elle prend pour un manque de cœur.
Malgré le caractère peu flatteur du père, on le découvre plein de remords et je n'ai pu m'empêcher de sourire lorsque, hospitalisé, n'ayant pas trouvé sa femme à ses côtés à son réveil,  il s'était enfermé à clé dans les toilettes jusqu'à ce qu'elle revienne à l'hôpital.
D'autre part, j'ai aimé voir que Sonyŏ éprouvait elle aussi certains remords - des compliments qu'elle aurait voulu faire à ses enfants par exemple - et qu'elle avait également ses petit secrets.

On voit que, même quand ses enfants sont devenus adultes, une mère reste une mère et j'ai souris en "voyant" cette femme déterminée débarquer à Séoul chargée de paquets comme une mule, avec des plats qu'elle avait confectionnés, comme si son fils aîné n'avait pas mangé depuis 15 jours :-)

Quelques remarques faites dans l'épilogue m'ont marquée et je les ai trouvées bienvenues :

Il [Hyŏngch'ŏl] t'avait déclaré que vous faisiez peut-être erreur, en ne voulant considérer  la vie de votre mère que sous l'angle de la souffrance et du sacrifice. Que vous aviez gardé le souvenir d'une femme triste à cause de votre propre sentiment de culpabilité. Que, par là, vous réduisiez toute une existence à quelque chose de réellement dérisoire.[...] elle était émue par de petites joies qui étaient pourtant le lot commun.[...] Elle éprouvait de la gratitude pour ce que lui apportait chaque jour. Une personne qui pratiquait cette philosophie de la vie, avait-il conclu, ne pouvait pas être entièrement malheureuse. (p245-246)

Des mots de la cadette, dans une lettre à sa sœur aînée : 
Elle s'est sacrifiée corps et âme, en se débrouillant de son mieux avec les mauvaises cartes une son époque lui avaient distribuées - la pauvreté, la tristesse et la solitude -, en renonçant à toute espérance. (p236)
Et je trouve une bonne chose que la jeune femme - mère de trois enfants - avoue, tout en admirant sa mère, ne pas se sentir de taille à suivre la même voie et avoir besoin de vivre sa propre vie.



Malheureusement, peu de romans de Shin Kyung-sook (aussi orthographié Shin Kyeongsuk) sont traduits en langue française. J'aimerais beaucoup lire La chambre solitaire qui parait fortement autobiographique.

Challenge Printemps Coréen chez Coccinelle



La Plume au Féminin chez Opaline


6 commentaires:

  1. Je ne connais pas , mais ça me donne tres envie ! Il y a surement des tas de femmes qui ont dû vivre comme ça, ignorées de leur famille, sacrifiées , silencieuses ..
    Vraiment, tu as titillé ma curiosité, je voudrais savoir comment ça finit !
    Bonne soirée ! Bises !

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  2. Je réalise qu'il y a un challenge sous toutes ces lectures coréennes... ^_^^

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  3. Je ne connais pas du tout la littérature coréenne, mais j'avoue que tes billets donnent envie de découvrir :)

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  4. Je ne connais pas tout cet auteur ! Je note car j'ai envie de découvrir cette réalité rurale dont tu parles...

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  5. Je le note car l'histoire m'interpelle.

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  6. Encore un article vraiment complet et tentateur. On doit se sentir un peu concerné.

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