lundi 9 juin 2014

Londres, la nuit - Charles Dickens


[...] la Tamise était effrayante à voir, les bâtiments sur les rives étaient enveloppés de noirs linceuls, et les lumières reflétées semblaient provenir des profondeurs de l'eau, comme si les spectres de suicidés les maintenaient là pour montrer où ils s'étaient noyés. Dans cette désolation, la lune et les nuages étaient aussi agités qu'une conscience coupable dans un lit défait, et l'ombre même de l'immensité de Londres semblait peser de façon oppressante sur la Tamise. 
Extrait de Promenades nocturnes (p 97)


Quatrième de couverture :
Dickens fut tout au long de sa carrière littéraire un inlassable marcheur et explorateur de Londres, de ses prisons, ses théâtres, ses monuments, ses rues commerçantes, ses gares, ses docks, ses asiles pour les pauvres, ses taudis, et son œuvre  romanesque est indissociable de ses enquêtes de journaliste.
Cette fascination pour l'espace urbain apparaît dans les articles présentés ici, publiés dans les deux revues qu'il dirigea, Household Words et All the Year Round . Dickens aimait tout particulièrement déambuler dans Londres la nuit et ses récits, tout en prenant leur source dans des notations sur le vif, dérivent souvent vers l'imaginaire et le rêve, mêlant l'observation sociale et la veine visionnaire, avec parfois une intensité quasi hallucinatoire. On le voit ainsi accompagner des inspecteurs de police dans leurs tournées à travers les bas-fonds et les taudis de la capitale ou dans leurs patrouilles nocturnes sur la Tamise, mais aussi rencontrer des créatures sans feu ni lieu dans un Londres hanté par les noyés de la Tamise. Cette modernité de Dickens, qui le situe entre Dostoïevski et Chaplin, fait de lui un immense comédien de l'inhumain.

Traduit de l'anglais, présenté et annoté par André Topia
Editions Payot & Rivages, 2013, 218 pages

1- Nuit sans sommeil
2- Perdu
3- Un quartier perturbé
4- Promenades nocturnes
5- La police enquête
6- En tournée avec l'inspecteur Field
7- En suivant la marée
8 - Scène nocturne à Londres
9 - Un amateur fait sa ronde

Londres, la nuit regroupe donc des articles de journaux que Dickens a publié dans Household Worlds et All the Year Round, deux revues qu'il dirigea successivement. La première est parue dans les années 1850, la seconde est née en 1859 et Charles Dickens l'a dirigée jusqu'à sa mort. Elle a alors été reprise par son fils aîné Charles Dickens Jr.
Ces articles sont rédigés dans des styles différents, mêlant des descriptions et des narrations factuelles de journaliste à un  style littéraire et une imagination de romancier.
Des cœurs   indiquent mes récits préférés.


Le premier récit, Nuit sans sommeil,  est un peu à part : Charles Dickens est allongé dans son lit, sans parvenir à trouver le sommeil. Des images lui surgissent à l'esprit, inspirées de souvenirs lointains ou plus proches, une sorte de divagation qui prend parfois des allures de cauchemar. Ce n'est pas mon texte préféré.

Quand il n'était encore qu'un tout petit garçon, Charles Dickens s'est un jour perdu dans la City. Résolu à aller tout d'abord voir les Géants du Guildhall (deux grandes statues de pierre), il a déambulé dans les rues  et n'a retrouvé sa famille que tard le soir. C'est un portrait plein de vie de ce quartier vu au travers de ses yeux d'enfant qu'il nous dresse dans Perdu 

Dans Un quartier perturbé  nous assistons aux  transformations profondes de Cambden Town, où Charles Dickens vécu de 1822 à 1823, suite l'implantation d'une ligne de chemin de fer. Ce récit est un mélange d'observations réalistes, décrites non sans humour, et de fantaisie littéraire .

The Railway Station - William Powell Frith - 1862


A partir de Promenades nocturnes, nous entrons véritablement dans Londres de nuit. Excepté La police enquête, qui résulte d'un entretien accordé par des policiers de Scotland Yard aux journalistes de Household Words, les récits sont le fruit du sens de l'observation d'un marcheur infatigable à l'esprit curieux qui s'intéresse à ses semblables et au monde qui l'entoure.

Promenades nocturnes   nous emmène à la suite d'un Dickens frappé d'insomnie dans le dédale des rues de Londres enfoncé dans le repos, après que les derniers pubs aient fermé leur porte et que les vendeurs ambulants soient rentrés chez eux. Il est alors environ deux heures et demi du matin, nous sommes en mars, il fait froid et il tombe une pluie battante... ne restent dans les rues que quelque malfrat dissimulé dans l'ombre d'un porche, des policiers, des employés tel l'employé du péage du pont de Waterloo que Dickens traverse exprès pour échanger deux mots avec lui. Il s'est mis dans la peau d'une "créature sans feu ni lieu" :

La pluie continuait à dégouliner des rebords des fenêtres et des crêtes des toits, des conduites d'eau et des gouttières, et bientôt l'ombre de la créature sans feu ni lieu se projetait sur les pavés menant à Waterloo Bridge ; la créature sans feu ni lieu avait dans l'idée de trouver une excuse, au prix d'un demi-penny, pour dire "Bonsoir" à l'employé du péage et entrevoir son feu. Un bon feu et un bon manteau et un bon cache-col de laine étaient des choses réconfortantes à voir lorsqu'on rencontrait l'homme du péage ; et aussi, c'était une excellente compagnie lorsque, l'air vif et bien éveillé, il faisait sonner la monnaie de pièces d'un demi-penny sur sa table de métal, comme un homme qui bravait la nuit et toutes les tristes pensées qui l'accompagnent, et n'avait pas envie de voir venir l'aube.(p96-97)

L'ambiance de cette nouvelle m'a particulièrement frappée, je croyais voir se refléter sous mes yeux les eaux sombres de la Tamise ou se dessiner dans l'ombre les contours de Newgate... ou entrer dans un théâtre vide à la suite de l'auteur...
J'ai découvert que Virginia Woolf a écrit un essai sur le même thème : Au hasard des rues, une aventure londonienne (Street haunting : A London Adventure) et évidemment j'ai très envie de le lire.

Dans La police enquête, des policiers racontent quelques unes de leurs affaires parmi les plus marquantes.

En tournée avec l'inspecteur Field nous entraîne à la suite dudit inspecteur à la recherche d'un malfrat  dans la misère des asiles de nuit du quartier de St Giles. Nous savons que cette expédition eût lieu en 1851 car Dickens évoque la Grande Exposition qui se tint cette année là à Hyde Park. Charles Dickens y évoque également la construction de New Oxford Sreet, qui entraîna la destruction de taudis, chassant leur population qui se retrouva sans abri.
C'est un récit très poignant mais je n'ai pas trop accroché, à la toute fin du récit, au style d'autocensure de l'auteur qui remplace par les mots "adjectif" ou "substantif" chaque juron sortant de la bouche du truand.
Ce récit peut d'une certaine façon être relié à Scène nocturne à Londres ❤ où l'auteur, accompagné de son ami John Forster, tombe, dans le quartier de Whitechapel,  sur "cinq tas de  haillons" recroquevillés contre le mur de l'Hospice, des indigents condamnés à dormir dehors en plein mois de novembre car l'Hospice est plein.

Par une nuit glaciale, nous nous retrouvons dans une embarcation  en compagnie de la police de la Tamise pour une sortie  En suivant la marée. C'est l'occasion de découvrir toutes sortes de trafics liés au transport fluvial :  ceux qui volent des clous ou autre matériel sur les chantiers maritimes pour les revendre, les Débardeurs qui déchargent les cargaisons sur les docks et dissimulent des colis dans les ourlets de leurs vestes... les Dragueurs, qui, sous prétexte d'aller chercher à la drague du charbon au fond du fleuve, rôdaient autour des péniches et autres embarcations non pontées, et lorsque l'occasion se présentait, jetaient par dessus bord toutes les marchandises sur lesquelles ils pouvaient mettre la main : afin de les remonter à la drague en cachette lorsque l'embarcation serait partie. (p189)

Enfin, Un amateur fait sa ronde nous entraîne dans le quartier de Limehouse et dans une usine de transformation du plomb.

Une carte de Londres est jointe à la fin du recueil.

Beaucoup de ces récits se déroulent dans une zone allant de la cathédrale St Paul à l'East End. Ils constituent une mosaïque sociale de la ville de Londres dans les années 1850 qui m'a vivement intéressée !
J'ai apprécié cette série de textes de 10 à 20 pages, certes on ne s'y immerge pas comme dans un roman mais cela permet de lire à son rythme et de faire une pause entre deux articles.


Le Mois Anglais, chez Cryssilda, Titine et Lou
LC Charles Dickens

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11 commentaires:

  1. Je ne suis pas très Dickens (trop triste à mon goût) mais ces textes-là me séduisent davantage.

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  2. Je n'ai jamais lu ces textes mais ça me tente bien pour la suite !

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  3. Je ne connaissais pas! Je note ... Merci ;)

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  4. Je ne connaissais pas du tout ce recueil de textes mais j'en prends bonne note ! Même si ma prochaine étape Dickens sera soit "De grandes espérances" soit "David Copperfield"... Pour plus tard :-)

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  5. Je connais très mal l'univers de Dickens, il faudrait que je m'y penche, vous me donnez envies toutes avec votre mois anglais ^^

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  6. Hmmm, moi ça me fait super envie ! Londres et Dickens sont indissociables , et j'imagine bien une atmosphère gothique , une plongée loin des sentiers battus , et (avec la chaleur qui nous tombe dessus ici) je REVE d'hiver , de pluie et de froid !Une autre façon de redecouvrir Londres .
    Bises et bonne nuit ! :)

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  7. Connais pas, mais Dickens a tellement écrit! Tu sais que c'était un bon marcheur et qu'il arpentait Londres...

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  8. ralalalala quand je pense que je l 'ai quelque part dans ma biblio...mais où ? La honte!!!! ^^

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  9. J'avais acheté ce recueil car dès que je vois un Dickens, je l'achète ! Je ne savais pas qu'il y avait des nouvelles, je pensais que c'était des articles autobio... J'ai hâte de le lire !

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  10. PS ( encore !) : J'aime beaucoup le choix de tes illustrations !

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  11. C'est très tentant, je note pour l'ambiance de ces récits.

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